Campanologie : code et langage des sonneries de cloches en Occident

La cloche en tant qu’instrument de communication de masse

Communiquer est une dĂ©marche active, orientĂ©e vers un public, avec une finalitĂ© prĂ©cise. La communication sonore est un ensemble de sons organisĂ©s, produit volontairement, ayant un sens pour le ou les destinataires et qui peut induire un acte chez l’auditeur.

A travers le temps et les civilisations, les moyens utilisĂ©s pour produire et transmettre simultanĂ©ment cette information Ă  un ensemble d’individus plus ou moins dispersĂ©s gĂ©ographiquement ont Ă©tĂ© particulièrement divers : cri, sifflet, phonolithe, trompe, cor, tambour…
Depuis le dĂ©but de notre ère jusqu’Ă  une Ă©poque rĂ©cente, la cloche a Ă©tĂ©, en Occident, un instrument privilĂ©giĂ© de « communication de masse » du fait de la portĂ©e Ă©tendue de sa « voix ».

Les Romains l’utilisaient pour annoncer l’ouverture et la fermeture des marchĂ©s ou des bains. Strabon narre la mĂ©saventure d’un poète qui, ayant commencĂ© Ă  dĂ©clamer ses vers, vit toute l’assemblĂ©e partir lorsque la cloche annonçant l’arrivĂ©e de la marĂ©e eut sonnĂ© (Pratique attestĂ©e Ă©galement par Plutarque). De plus petites cloches Ă©taient utilisĂ©es aussi pour annoncer l’arrivĂ©e d’un hĂ´te Ă  l’entrĂ©e des maisons. L’usage s’en est donc rĂ©pandu en Gaule au fur et Ă  mesure de l’implantation des citĂ©s construites par les Romains. De mĂŞme, le dĂ©veloppement de la chrĂ©tientĂ© au grĂ© des dĂ©placements des moines Ă©vangĂ©lisateurs a conduit Ă  la multiplication des monastères, puis Ă  la construction des « maisons d’Ă©glise » dans les bourgs et villages, avec un besoin d’instrument sonore de convocation des fidèles. D’abord suspendue aux branches d’arbre, la cloche trouve abri dans un Ă©difice distinct qui progressivement sera intĂ©grĂ© Ă  l’Ă©difice religieux proprement dit. Certains auteurs disent que les villages et leur Ă©glise ont Ă©tĂ© implantĂ©s « à portĂ©e de cloche » de façon Ă  transmettre des messages sonores de village en village (notamment pour alerter la population en cas d’invasion). De mĂŞme, pour que la cloche puisse jouer pleinement son rĂ´le de communication Ă  distance, les clochers se sont Ă©levĂ©s de plus en plus haut et les cloches ont Ă©tĂ© de plus en plus grosses. Enfin, dans les villes oĂą les Ă©difices religieux et civils Ă©taient nombreux, on prenait soin de mettre en place des cloches de sonoritĂ©s diffĂ©rentes pour que la population puisse distinguer aisĂ©ment l’origine de la sonnerie et du « message ».

Le son produit par la cloche a donc Ă©tĂ© utilisĂ© au fil des siècles pour diffĂ©rentes fonctions de communication : fonction d’ alerte, fonction d’information, marquage sonore du calendrier, instrument d’appel civil ou religieux, instrument de localisation, etc. Elle fait partie du « paysage sonore » en se distinguant d’autres productions, volontaires ou non, de sons.
Le « message » transmis par la sonnerie de cloche s’appuie sur trois composantes :

  • la sonoritĂ© de la cloche (dans la mesure oĂą un Ă©difice peut contenir plusieurs cloches ayant leur sonoritĂ© propre ou encore lorsqu’il y a plusieurs Ă©difices contenant des cloches de sonoritĂ©s diffĂ©rentes),
  • la modalitĂ© et le rythme de frappe sur celle-ci (volĂ©e, tintement, durĂ©e, nombre de coups, etc.),
  • le nombre de cloches mises en Ĺ“uvre simultanĂ©ment ou successivement…

Les combinaisons possibles autorisent donc un nombre assez grand de « messages ».

Pour qu’il y ait communication, il faut rĂ©unir plusieurs conditions : il faut un message, un Ă©metteur, un canal de transfert et un rĂ©cepteur. Le « schĂ©ma canonique de la communication » proposĂ© par Abraham Moles a le mĂ©rite de prendre en compte, outre les Ă©lĂ©ments physiques de la communication, le « codage et le dĂ©codage sĂ©mantique ». Il introduit les notions de « champs sĂ©mantiques » et de « coĂŻncidence des rĂ©pertoires ». C’est la sĂ©quence sonore « codĂ©e » qui va ĂŞtre porteuse de signification pour l’auditoire. Il est Ă©vident que pour qu’un son devienne “signe” et soit compris du destinataire, si simple que soit le message, il est nĂ©cessaire qu’émetteur et rĂ©cepteur accordent la mĂŞme signification au signe ou Ă  l’ensemble de signes transmis. Afin que l’auditeur puisse interprĂ©ter la signification de la production sonore porteuse de l’information qui lui est destinĂ©e et agisse en consĂ©quence, il convient que la sĂ©quence sonore suive une convention (coutumière ou rĂ©glementĂ©e) partagĂ©e par une mĂŞme communautĂ© – le langage – mĂŞme s’il est rĂ©duit Ă  un code binaire de type “est produit » / « n’est pas produit”.

Les « règlements de sonnerie » Ă©tablis par les Ă©vĂŞques prĂ©cisaient dans le dĂ©tail l’usage des diffĂ©rentes cloches en fonction des diffĂ©rents types de cĂ©rĂ©monies ou d’Ă©vĂ©nements. Ces règlements ont Ă©tĂ© simplifiĂ©s dès le milieu du XVIIIe s. Il convient de noter Ă  ce propos le privilège qu’ont les cloches de cathĂ©drale après le « silence des cloches » prĂ©cĂ©dant Pâques : les cloches d’aucune Ă©glise ou chapelle ne doivent sonner avant que les cloches de la cathĂ©drale n’aient donnĂ© le signal de la reprise de la sonnerie lors du Gloria de la messe de Pâques !

Les sonneries régulières

La cloche a servi pendant de nombreux siècles et sert encore actuellement de moyen d’information de masse en exerçant une fonction d’expression de la mesure du temps. Il s’agit d’une fonction « passive » : celle des faits habituels.

Il est minuit ! (Le temps civil)

La sonnerie horaire

Si l’on prend l’exemple de la sociĂ©tĂ© mĂ©diĂ©vale en Europe (il n’y a guère que quelques siècles !) celle-ci ne disposait, pour mesurer le temps, que d’instruments – clepsydres, sabliers, cadrans solaires, …- en nombre limitĂ© ou dĂ©pendant de l’Ă©tat du ciel. Seuls des privilĂ©giĂ©s ou des organismes reprĂ©sentatifs d’une collectivitĂ© pouvaient se procurer les instruments les plus sophistiquĂ©s. C’est pourquoi, les renseignements fournis par ceux-ci Ă©taient diffusĂ©s largement, car toutes les activitĂ©s quotidiennes devaient ĂŞtre rythmĂ©es : ouverture et fermeture des portes de la ville, des marchĂ©s, des bains… , transmission de l’heure civile, de l’heure des offices religieux, de l’heure du travail… Il fallait pouvoir annoncer l’heure Ă  tous.

La cloche constitua alors un progrès important car elle permit de transmettre un message instantanĂ©ment et Ă  un ensemble de personnes dispersĂ©es. Dans le cas d’une information courte et prĂ©cise (heure, par exemple), un simple signe sonore, en effet, peut suffire. La communication auditive de l’heure a prĂ©cĂ©dĂ© la communication visuelle, ce qui se conçoit aisĂ©ment compte tenu de l’analphabĂ©tisme ambiant et de l’importance de la population paysanne travaillant dans les champs, donnant ainsi naissance au temps des “carillonneurs”.

Les sonneries horaires, en Occident, furent rendues obligatoires lors du Concile de 801 d’Aix-la-Chapelle. Ces sonneries revĂŞtirent progressivement un caractère politique, juridique et institutionnel en intervenant aussi bien dans la rĂ©glementation urbaine (couvre-feu, par exemple) que dans celle du travail. Cette multiplication des cloches (cloche de guet, cloche du Conseil, cloche du marchĂ©, cloche du travail…) fit que la population fut confrontĂ©e pendant une certaine pĂ©riode Ă  deux signalisations du temps diffĂ©rentes.

L’invention de l’horloge mĂ©canique Ă  poids moteur (et son cĂ©lèbre tic-tac) Ă  la fin du XIIIème siècle, a permis non seulement le passage de l’heure antique Ă  l’heure moderne, mais aussi d’une division ecclĂ©siastique du temps Ă  une division laĂŻque du temps. « Pour pouvoir se rendre maĂ®tre du temps, il faut pouvoir l’annoncer ». (RenĂ© Salles : si le temps m’était comptĂ©…). C’est Ă  cette Ă©poque de transition technique qu’apparurent les premiers jaquemarts.

Ce fut Charles V qui, vers l’an 1370, rĂ©gla, le premier en France, la sonnerie horaire des horloges monumentales ; mais l’usage de la cloche comme instrument sonore indicateur de l’heure se retrouve Ă  travers toute l’Europe. La vie quotidienne Ă©tait rythmĂ©e par cette sonnerie. C’Ă©tait un point de repère pour tous.

Beaucoup de cloches ont Ă©tĂ© faites spĂ©cialement pour servir de timbres Ă  l’horloge publique. La sonnerie de l’horloge indique, par tintement, l’heure, les quarts et les demis. Le nombre de coups indique l’heure qu’il est. Le choix de la tonalitĂ© de la cloche, quand il y a plusieurs cloches associĂ©es Ă  l’horloge, permet de distinguer le dĂ©compte de l’heure et ses subdivisions.

Ce marquage du temps avait son importance pour rythmer le travail des paysans comme on le verra plus loin ; de mĂŞme pour le service des malades oĂą bien souvent les heures fixes sont de rigueur pour leur donner des aliments.

Couvre-feu

En Chine, de nombreuses villes Ă©taient Ă©quipĂ©es d’une tour de la cloche et d’une tour du tambour pour indiquer Ă  la population l’heure d’ouverture et de fermeture des portes de la ville (qui Ă©taient toutes plus ou moins encloses ou fortifiĂ©es). On connaĂ®t plusieurs exemples en France de « cloches des portes » dĂ©diĂ©es depuis le Moyen Age Ă  l’annonce de l’ouverture et de la fermeture des « portes de la ville ».

A la fin du IXème siècle, Alfred le Grand ordonne que les cloches d’Ă©glise sonnent chaque soir Ă  huit heures pour inviter la population Ă  « couvrir le feu » et Ă  se coucher.

En 1065, le concile de Lisieux prĂ©cise que le son de la cloche, Ă  la tombĂ©e de la nuit, doit signaler la retraite et la prière. Toujours au XIème siècle, on dit que Guillaume le ConquĂ©rant ne permettait ni feu, ni lumière après 8 heures du soir. Cet usage si simple est difficile Ă  dĂ©finir. Il consiste en une sonnerie Ă  la volĂ©e d’assez longue durĂ©e faisant intervenir une cloche spĂ©cialement rĂ©servĂ©e Ă  cet effet. Ainsi, Guillaume le ConquĂ©rant avait instituĂ© Ă  Saint-LĂ´ un couvre-feu constituĂ© de trente coups sur le bourdon. On appelait aussi cette sonnerie le ratire-coquins. Ă€ la cathĂ©drale de Troyes, l’une des cloches est dite du couvre-feu depuis le XVIe siècle. Il en est de mĂŞme Ă  la cathĂ©drale de PĂ©rigueux ou Ă  celle de Quimper. A la cathĂ©drale de Strasbourg, l’une des onze cloches qu’elle abrite est appelĂ©e Zenerglocke (cloche des dix heures ») ; elle sonne depuis le XIIIème siècle. Elle est aussi surnommĂ©e par certains cloche des juifs car elle signalait aux juifs jusqu’Ă  la RĂ©volution l’heure de quitter la ville, ceux-ci n’Ă©tant pas autorisĂ©s Ă  dormir intra-muros depuis le pogrome de 1349. A Neuwiller-lès-Saverne, c’est le bourdon de 1431, appelĂ© BĂĽrgerglocke (cloche citoyenne) qui sonne chaque soir Ă  22h. A Fouchères, c’est la plus grosse. Dès qu’en tintait le premier coup, les autres Ă©glises reprenaient en chĹ“ur la sonnerie et l’on fermait les portes de la ville (Dans d’autres villes, on mettait des chaĂ®nes dans les rues).

L’annonce du soir Ă©tait quasi gĂ©nĂ©ralisĂ©e dans les bourgs jusqu’au XVIIIème siècle. Elle est parfois appelĂ©e le Salve. Le Salve Regina justifie son appellation car il indique l’antienne qui termine ordinairement l’office et la journĂ©e des moines, tenus ensuite d’observer le silence qui prĂ©pare au repos de la nuit. Le « salve » permet de supposer une origine monastique Ă  cette coutume. Dans le peuple, le couvre-feu possède un nom charmant qui se passe de commentaire : le « bonsoir ».

Sous les coups martelĂ©s de la cloche, le couvre-feu apporte un terme Ă  toutes les activitĂ©s de la journĂ©e. Les commerçants doivent fermer leur boutique, les habitants doivent fermer leurs portes et ne plus paraĂ®tre dans les rues. Le couvre-feu est essentiellement une coutume sociale Ă©tablie dans l’intĂ©rĂŞt de chacun et pour le bien de tous. Dans la mesure du possible, il contribue Ă  limiter les incendies (souvent redoutables Ă  l’Ă©poque oĂą beaucoup de maisons Ă©taient en bois et se touchaient les unes les autres); il tend Ă  rĂ©duire les accidents de la route nombreux pendant les mois d’hiver, les chemins Ă©tant peu praticables. La frĂ©quence des accidents affectant les voyageurs justifie en effet la sonnerie prolongĂ©e des cloches, de façon Ă  guider le voyageur attardĂ©.

Dans la plupart des villes bretonnes, il a existĂ© jusqu’Ă  une Ă©poque rĂ©cente des cloches municipales qui sonnaient l’heure de fermeture des cabarets. On l’appelait Noguette Ă  Saint-Malo et Ă  Dinan. Les Brestois disaient : « C’est Marie-Jeanne qui nous appelle ». Cette sonnerie nocturne a parfois Ă©tĂ© baptisĂ©e dans certains villages la cloche des cochons. Dans le canton de GuĂ©mĂ©nĂ©-sur-Scorff, tous les dimanches, Ă  dix heures du soir, les cloches des Ă©glises sonnaient cette sorte de couvre-feu Ă  la seule adresse de ceux qui, ayant fait une visite un peu trop prolongĂ©e au cabaretier, risquaient de se voir dresser procès-verbal pour ivresse par les gendarmes ou le garde champĂŞtre. A Lesneven, la cloche sonne Ă  21h45. A RibeauvillĂ© (Haut-Rhin) dans la Tour des Bouchers, il existe encore une cloche de 1626 (la S’Lumpaglocke) qui servait autrefois Ă  sonner le couvre-feu et Ă  signaler la fermeture des dĂ©bits de boisson.

On ne sonne plus le couvre-feu dans la plupart des villes européennes depuis la fin du XIXème siècle sauf peut-être encore dans quelques villes où il subsiste des cloches dédiées à cet usage (telles que, en France, Neuwiller-lès-Saverne, Pont-Audemer, Strasbourg , …).

Le temps du travail

En zone rurale, la sonnerie des cloches a rĂ©glĂ© depuis fort longtemps le rythme de travail des paysans dans les champs. A l’aurore, la cloche sonne le moment du lever, Ă  midi celui de dĂ©teler et le son du couvre-feu annonçait la fin de la journĂ©e de travail. Certaines sonneries vont intervenir, en effet, en rĂ©glementation du travail pour divers mĂ©tiers, c’est-Ă -dire dans l’organisation de la vie professionnelle (dĂ©but et cessation d’activitĂ©). En gĂ©nĂ©ral, le “ signal ” est constituĂ© d’une simple volĂ©e sur une cloche dĂ©diĂ©e.

Des textes y font allusion dès 1322. Jusqu’Ă  la fin du XIXème siècle, Ă  Auxerre, par exemple, on utilisait la sonnerie pour rĂ©gler le travail des vignerons et des laboureurs employĂ©s Ă  la journĂ©e. « C’Ă©tait la plus grosse cloche de la cathĂ©drale qui Ă©tait affectĂ©e Ă  ce rĂ´le : le matin pour Ă©veiller les vignerons et les appeler au travail, Ă  midi pour leur indiquer l’heure du repas et le soir pour les inviter Ă  rentrer Ă  leur logis ». L’heure de ces sonneries variait selon les mois de l’annĂ©e (A cinq heures, en novembre, dĂ©cembre et janvier, Ă  quatre heures et demie, en fĂ©vrier, etc.). Un premier règlement avait Ă©tĂ© Ă©dictĂ© le 1er avril 1393 Ă  la suite d’une lettre-patente du roi Charles VI. Il est vrai que les relations entre les laboureurs ou les vignerons d’un cĂ´tĂ© et les ecclĂ©siastiques, les bourgeois et les nobles de l’autre cĂ´tĂ©, Ă©taient souvent tendues en ce qui concernait le temps effectif de travail ! On retrouve de telles rĂ©glementations dans le Berry.

Cette fonction liĂ©e Ă  l’indication du temps se retrouve Ă©galement dans d’autres domaines : dans la marine, Ă  bord des bateaux, on a, depuis longtemps, employĂ© des cloches pour rĂ©gler les horaires de l’Ă©quipage.

On utilise la cloche aussi pour certaines activitĂ©s commerciales. Dans le clocher de la cathĂ©drale de Strasbourg, mais aussi dans celui de la collĂ©giale de Colmar, une cloche est dĂ©diĂ©e Ă  la foire (Messglocke). Dans certains halls de vente, la cloche annonce l’ouverture des transactions. A Paris, un cafĂ© a encore pour enseigne « La cloche des Halles » tĂ©moin de l’importance qu’avait la cloche pour annoncer l’ouverture du marchĂ© Ă  l’Ă©poque oĂą les halles Ă©taient encore au centre de Paris. La cathĂ©drale de Beauvais abrite, depuis 1349, la Poissarde ou la cloche Ă  poisson : elle indiquait l’heure d’ouverture et de fermeture du marchĂ© aux poissons. A Saint-Pol-sur-Mer, on peut lire dans un journal local du 26 mai 1942 : « la municipalitĂ© a dĂ©cidĂ©, en accord avec le clergĂ©, que les arrivages de poisson seraient annoncĂ©s par une sonnerie des cloches. La voix d’airain remplaçant le tambour du garde champĂŞtre a Ă©tĂ© comprise de tous et quelques minutes plus tard, de nombreuses mĂ©nagères, groupĂ©es autour des Ă©tals des marchands de poisson…« .

Nombre d’usines, au XIXème et courant XXème siècle ont utilisĂ© une cloche pour rythmer les horaires de travail. On peut encore voir dans le hall de la mairie de Fraize (Vosges) la cloche qui appelait les ouvriers de l’ancienne filature. Une cloche figure comme marque dĂ©posĂ©e de l’entreprise textile DMC pour rappeler cette fonction d’appel de la cloche dans l’usine de cette sociĂ©tĂ©. Autre exemple : la cloche de l’ancien four Ă  chaux d’Erbray (Loire Atlantique).

Jusqu’Ă  une date rĂ©cente, Ă  l’intĂ©rieur du Palais Brongniart (la Bourse), le dĂ©but de sĂ©ance du marchĂ© traditionnel et sa clĂ´ture Ă©taient annoncĂ©s par le son d’une cloche situĂ©e dans la salle comportant la fameuse corbeille. A noter aussi la clochette que le prĂ©sident du bureau de vote agite au moment de la fermeture du scrutin. Plus gĂ©nĂ©ralement, dans la plupart des Ă©tablissements scolaires, les dĂ©buts et fins de cours sont signalĂ©s par une sonnerie (sonnerie de cloches autrefois ou sonnette Ă©lectrique maintenant).

C’est l’heure de prier Marie (l’angĂ©lus)

Le synode de Roussillon tenu en 1027 institue une sonnerie du soir annonçant la Trève du Seigneur ou Paix de Dieu, mais la pratique ne se rĂ©pandit que vers 1040. En 1095, au concile de Clermont, le Pape Urbain II institue la sonnerie de l’angĂ©lus chaque jour, Ă  la tombĂ©e de la nuit, pour appeler le peuple Ă  la prière. C’est surtout au XIIIème siècle que se rĂ©pand la pratique des trois Ave Maria. On dit que saint Antoine de Padoue (1195-1231) la recommandait vivement. RĂ©citer ces trois Ave, le soir après complies, en mĂ©ditant sur le mystère de l’Incarnation : c’est ce qu’aurait proposĂ© saint Bonaventure lors d’un chapitre de l’ordre des Frères mineurs, en 1269. La prière du midi fut ajoutĂ©e par le pape GrĂ©goire IX en 1225. La pratique de la « sonnerie du pardon » peu avant celle du couvre-feu se dĂ©veloppe sous l’impulsion du Pape Jean XXII qui rĂ©dige en 1318 la prière de l’AngĂ©lus que l’on connaĂ®t encore de nos jours.

En 1456, le Pape Calixte III recommande de sonner trois fois par jour, perpĂ©tuant dĂ©finitivement la coutume. Louis XI, dont la dĂ©votion Ă  Marie Ă©tait grande, ordonna dans tout le royaume « qu’on s’agenouillât au son de midi pour rĂ©citer un Ave Maria en plus des sonneries traditionnelles du matin et du soir » (en 1472 ou 1475 selon les auteurs). Il existe encore plusieurs cloches en France qui n’ont cessĂ© de sonner l’angĂ©lus quotidiennement depuis cette date.

Dans les cathĂ©drales, l’une des nombreuses cloches qu’abritaient leurs clochers Ă©tait souvent dĂ©diĂ©e Ă  la sonnerie de l’angĂ©lus et portait le nom de « cloche de l’AngĂ©lus » (Saint-LĂ´, Strasbourg…).

Encore actuellement, dans beaucoup d’Ă©glises paroissiales, la sonnerie de l’angĂ©lus a lieu trois fois par jour Ă  7h, 12h et 18h (mais les heures du matin et du soir peuvent varier d’une paroisse Ă  l’autre ou selon les saisons) ; dans certains cas la sonnerie du matin n’existe plus pour prĂ©server le sommeil des riverains ; dans quelques cas la pratique est rĂ©duite Ă  la sonnerie de midi.

Lorsque la cloche correspondante existe dans le clocher, on utilise de prĂ©fĂ©rence le La. La pratique courante est la suivante : 3 tintements suivis d’une volĂ©e (1 cloche). Le tintement peut avoir lieu sur une cloche moyenne et la volĂ©e sur une plus petite cloche (cas de l’Ă©glise de Saint-Cloud).
On connaĂ®t quelques variantes dans certains villages : volĂ©e de 2 cloches, silence, volĂ©e de 2 cloches, tintement 3 coups, volĂ©e de 2 cloches (un village du Lauragais) ; Ă  Espinas (Tarn-et-Garonne), on sonne une volĂ©e d’une dizaine de minutes entrecoupĂ©e Ă  mi-temps par trois fois trois coups. A Saint-Vaast-sur-Seulles (Calvados), encore en 2001, on sonnait la petite cloche, puis la moyenne et la grosse : trois coups chacune et ensuite la moyenne cloche pendant environ quatre minutes, ou la grosse le week-end. A Montfermier (Tarn-et-Garonne), le sonneur commence par mettre en volĂ©e la petite cloche, fait ensuite trois coups avec l’autre corde reliĂ©e au battant, et met en volĂ©e la grosse cloche en tirant une quinzaine de fois.

C’est l’heure de l’office

La pratique d’utiliser des cloches fut d’abord mise en Ĺ“uvre dans les monastères. GrĂ©goire de Tours dans le De virtutibus sancti Martinis parle dĂ©jĂ  de la corde qui servait Ă  agiter le signum. La RĂ©gle de saint BenoĂ®t (VIème siècle) indique la nĂ©cessitĂ© d’annoncer les offices par un signal sonore, en gĂ©nĂ©ral la cloche pour la majoritĂ© des communautĂ©s qui s’Ă©tabliront au cours des siècles suivants. Puis l’usage se propagea dans les Ă©glises paroissiales Ă  partir du IXème siècle.

Il y a au minimum sept sonneries quotidiennes (hormis la pĂ©riode silencieuse du Jeudi Saint après le Gloria au Dimanche de Pâques). A cela s’ajoutent l’annonce de la ou des messe(s) dominicale(s) et les appels aux cĂ©rĂ©monies religieuses liĂ©es aux Ă©vĂ©nements de la vie (baptĂŞme, mariage, dĂ©cès) ou aux fĂŞtes patronales lorsque l’Ă©glise du monastère sert aussi d’Ă©glise paroissiale.

Dans les monastères :

  • Chez les Cisterciens : on utilise des cloches diffĂ©rentes selon l’évĂ©nement signalĂ© : 2 cloches dans le clocher pour sonner prime, tierce, sexte, none et complies, 1 cloche dĂ©diĂ©e Ă  l’horloge, 1 cloche dĂ©diĂ©e au rĂ©fectoire, 1 cloche Ă  proximitĂ© du dortoir
  • Chez les BĂ©nĂ©dictins (St-BenoĂ®t-sur-Loire) : on utilise quatre cloches de volĂ©e et une cloche fixe pour l’horloge. La pratique est la suivante :
    • En semaine :
      8h : laudes et angélus :volée
      11h45 : annonce de la messe : volée
      12h : angélus et début de la messe : volée
      14h30 : none : tintement (quelques coups)
      18h : annonce des vêpres : volée
      18h20 : vêpres :tintement : les “ cent coups ” (en réalité limité à 25 coups)
      21 h : vigiles et angélus (volée)
    • Dimanche :
      10h40 : annonce de la messe : volée
      11 h : début de la messe : tintement
      12h : angélus : volée
      15h : none : tintement
    • VolĂ©e exceptionnelle au moment du Gloria lors de la première messe de NoĂ«l et du dimanche pascal.
    • Le nombre de cloches mises en volĂ©e varie selon le degrĂ© de solennitĂ© :
      Jours ordinaires : 1 cloche (La)
      FĂŞtes mineures et les octaves : 2 cloches (Sol, La)
      FĂŞtes majeures et dimanches : 2 cloches (Fa, La)
      Solennités mineures : 3 cloches (Fa, Sol, La)
      Solennités majeures (“ Grandes fêtes ”) : 4 cloches (Plenum)

On trouve trace des origines monastiques de certaines cathédrales qui abrite au sein de leur ensemble campanaire une cloche de la Prime (cathédrale de Bourges, de Metz…).

Dans les églises paroissiales

La pratique la plus courante actuellement est la suivante : volĂ©e d’une ou deux cloches un quart d’heure avant l’office. Mais jusqu’Ă  une Ă©poque rĂ©cente, certaines paroisses avaient des pratiques de sonnerie spĂ©cifiques : volĂ©e de deux cloches une heure avant l’office, puis un quart d’heure avant ; trois coups simples au dĂ©but de l’office (Ă  Espinas, Tarn-et-Garonne). A Villecomtat, Ă  10h30 grosse cloche en volĂ©e lente ; Ă  10h45, volĂ©e Ă  deux cloches ; peu avant la messe : volĂ©e Ă  trois cloches terminĂ©e par deux coups forts et rapprochĂ©s. Le dĂ©but de l’office Ă©tait marquĂ© par un tintement de quinze coups sur la petite cloche. On trouve une sonnerie en quatre temps Ă  Montfermier, un autre village du Tarn-et-Garonne : volĂ©e sur la petite cloche une heure avant la messe, deuxième volĂ©e sur la grosse une demi-heure avant, mise en volĂ©e des deux cloches un quart d’heure avant et trois coups tintĂ©s avec le battant de la petite cloche au commencement de l’office (« histoire de faire rentrer ceux qui discutent devant la porte » commente le sonneur).

Le jour des grandes fĂŞtes chrĂ©tiennes (NoĂ«l, Pâques, PentecĂ´te, Assomption, Toussaint), l’Ă©glise catholique a l’habitude de cĂ©lĂ©brer avec fastes ces moments en faisant retentir l’ensemble des cloches de l’Ă©difice (grande volĂ©e ou « plenum »). Dans beaucoup de paroisses, jusqu’au milieu de notre siècle, on « carillonnait » aussi la veille des fĂŞtes solennelles.

L’annonce de NoĂ«l dans le sud de la France

A partir du 14 ou 17 dĂ©cembre, au moment des vĂŞpres Ă  17h, jusqu’au 23 dĂ©cembre, on sonne les cloches Ă  grande volĂ©e (ou on joue un petit air de carillon diffĂ©rent tous les jours, si l’ensemble campanaire est Ă©quipĂ© d’un clavier). Le Nadalet (appelĂ© aussi Aubette, Tempolas, calendes de NoĂ«l, carillon de l’Avent…selon les « pays ») est une pratique ancienne actuellement remise au goĂ»t du jour par de nombreux carillonneurs du Midi de la France, mais aussi « importĂ©e » maintenant dans des villes plus au nord.

Voici quelques pratiques relevĂ©es ces dernières annĂ©es : en VendĂ©e, on carillonnait tous les soirs d’Avent pour annoncer NoĂ«l ; en Haute-Garonne, on sonne sur quatre cloches, chaque soir, quinze jours avant NoĂ«l; Ă  Barre (Tarn), on pratique une sonnerie diffĂ©renciĂ©e du 18 au 24 dĂ©cembre.

Le Mardi gras

Peu avant minuit, il arrivait dans certaines rĂ©gions que l’on sonne brièvement les cloches pour annoncer que bientĂ´t va commencer le dĂ©but du CarĂŞme, temps de pĂ©nitence. Cette coutume a disparu.

La Toussaint

Autrefois, les « sonneries de Toussaint » Ă©taient spĂ©cifiques Ă  ce jour. Par exemple, Ă  Englancourt (Oise), jusque vers les annĂ©es 1990, le soir de la Toussaint, les cloches sonnaient pendant une heure. Dans le pays de Bray, la coutume voulait que les cloches sonnent immĂ©diatement après les vĂŞpres jusqu’Ă  la nuit. A Cuy, on sonnait la nuit entière (comme en tĂ©moigne un compte de fabrique de 1608 mentionnĂ© par Dergny).

A l’intĂ©rieur de l’Ă©glise

Certaines Ă©glises ont encore une « cloche de sacristie » ou une « cloche de chĹ“ur » qui est tintĂ©e lors de l’arrivĂ©e dans le chĹ“ur de l’officiant ou au moment de l’ÉlĂ©vation. Bien que l’usage se perde, notamment en France, on peut encore voir dans certaines paroisses les enfants de chĹ“ur agiter la sonnette de messe ou « sonnette liturgique » (composĂ©e de trois ou quatre clochettes) pour attirer l’attention des fidèles aux moments importants de la messe.

Dans certaines régions de France, il a existé pendant longtemps des « rouets liturgiques » (ou « roue-carillon ») qui jouaient un rôle similaire à celui de la sonnette de messe.

Les sonneries de circonstance

Alerte ! Au feu ! (Le tocsin)

Dès l’origine de l’homme, celui-ci a Ă©tĂ© dans la nĂ©cessitĂ© de communiquer avec ses semblables pour l’alerter de menaces externes : arrivĂ©e d’ennemis ou approche d’animaux dangereux, propagation d’incendies, formation d’orages ou d’inondation… Il s’agit dans ce cas d’avertir les membres de la communautĂ© le plus rapidement possible, quel que soit l’endroit oĂą ils se trouvent, afin qu’ils prennent des dispositions pour se protĂ©ger, pour protĂ©ger leurs biens ou pour fuir le danger.

L’incendie a été pendant longtemps et demeure encore aujourd’hui la principale menace de destruction des biens. Un incendie sera toujours combattu avec d’autant plus de succès que l’on sera plus tôt prévenu de sa naissance. Les personnes chargées de secourir seront, donc, d’autant plus efficaces qu’elles seront alertées plus vite. Déjà, à Rome, les grandes maisons avaient un guetteur qui sonnait la cloche d’alarme dès qu’un feu se déclarait : on criait dans les rues : “A l’eau ! à l’eau !”.

Au Moyen Age, le guetteur disposait d’une cloche qu’il mettait en branle ou qu’il frappait selon un code convenu : le « tocsin ». A la cathĂ©drale St-Pierre de Lisieux, la cloche dĂ©diĂ©e Ă  l’alarme Ă©tait dĂ©nommĂ©e vulgairement l’Echauguette (« guet » et par extension Ă©veil, surveillance). Dans nombre d’Ă©difices, cet appel au feu Ă©tait sonnĂ© par une cloche spĂ©ciale, beaucoup plus Ă©vasĂ©e que les autres et d’une sonoritĂ© nettement discordante (appelĂ©e “braillard”). Il en subsiste encore quelques spĂ©cimens. En 1536, rapporte Dergny, le cardinal de Lorraine donna au monastère de FĂ©camp une cloche dite cloche du feu. Certaines cathĂ©drales ont encore une cloche d’alerte abritĂ©e dans un campanile ou Ă  proximitĂ© de la tour du guet (Saint-Omer, Narbonne; celle de Lisieux avait Ă©tĂ© offerte en 1285); l’alerte Ă©tait parfois sonnĂ©e avec un marteau distinct sur la « cloche de rĂ©pĂ©tition » (cloche qui servait Ă  rĂ©pĂ©ter l’heure Ă  la cathĂ©drale de Strasbourg).

De telles cloches subsistent dans certains Ă©difices. Il y a encore une cloche spĂ©cifique pour le tocsin au sein de la Tour de la Mutte de la cathĂ©drale de Metz. A RibeauvillĂ© (Haut-Rhin), dans la Tour des Bouchers existe encore une cloche de 1468, dĂ©nommĂ©e Ratsglocke et Brennglocke qui appelait autrefois les membres du conseil de la ville Ă  se rĂ©unir mais aussi Ă  sonner le tocsin en cas d’incendie ou d’attaque. A la cathĂ©drale de Quimper la Cloc’h An Comun est utilisĂ©e Ă  la fois pour sonner le tocsin et le couvre-feu.

Dans d’autres cas, notamment lorsque la ville Ă©tait Ă©tendue et qu’il fallait qu’il soit entendu le plus loin possible, le tocsin Ă©tait sonnĂ© sur la plus grosse cloche de l’ensemble campanaire abritĂ© par l’Ă©difice principal (cathĂ©drales de Perpignan, de Narbonne, de Saint-LĂ´, etc.).

Le tocsin est sonnĂ© Ă  coups pressĂ©s : environ 60 coups par minute (c’est le rythme qui est retenu en cas de commande Ă©lectrifiĂ©e). Dans certaines localitĂ©s, après la première volĂ©e du tocsin, le nombre de coups de cloche qui suit correspond Ă  la direction du sinistre et permet d’orienter les volontaires munis de seaux d’eau qui viennent prĂŞter main forte aux sapeurs-pompiers. Dans certaines villes, la nuit, le sonneur de feu plaçait une lampe Ă  huile sous les abat-son du clocher de façon Ă  indiquer la direction. On criait partout : “Au feu ! Au feu !”

Le tocsin demeure largement utilisĂ© dans les zones rurales jusqu’au milieu du XXème siècle pĂ©riode Ă  laquelle l’usage de la cloche est remplacĂ© par celui de la sirène municipale. Le tocsin Ă©tait cependant encore pratiquĂ© avant 1940 Ă  TrĂ©gon (CĂ´te d’Armor) et jusqu’en 1960 Ă  St-Maurice-sur-Eygues (DrĂ´me) ou encore Ă  Chemaze (Mayenne), mais ces cas restent des exceptions. A Montfermier (Tarn-et-Garonne), le tocsin est sonnĂ© avec le battant de la petite cloche, Ă  raison d’une vingtaine de coups rapides et très rythmĂ©s, mais il n’est plus sonnĂ© pour un feu. En ville, cela s’avère insuffisant et dès le XIXème siècle des recommandations ont Ă©tĂ© Ă©mises pour installer des mĂ©canismes destinĂ©s Ă  donner l’alarme sur les lieux mĂŞmes oĂą sont stationnĂ©s les pompiers.

Cette perte de coutume, et donc du message, a d’ailleurs posĂ© un problème, rĂ©cemment, Ă  un maire d’une commune du Gard. Il y eut de graves inondations du Gard en septembre 2002 et le maire d’Aramon voulut prĂ©venir la population qu’un barrage allait cĂ©der. Comment prĂ©venir la population Ă  1 heure du matin ? Il appela le curĂ© de la paroisse pour sonner le tocsin, mais la population composĂ©e en grande partie de jeunes gĂ©nĂ©rations, ne rĂ©agit pas, faute de connaĂ®tre la signification de la sonnerie !

Il convient aussi de noter que la sonnerie du tocsin ne servait pas uniquement en cas d’incendie; elle pouvait annoncer d’autres pĂ©rils ou inciter la population Ă  se rassembler d’urgence. A Barfleur (Manche), l’une des cloches de l’Ă©glise servait encore rĂ©cemment en cas de brume pour signaler la proximitĂ© du port mais aussi pour appeler la population au secours en cas de naufrage. A Moscou, au musĂ©e des Armures, on peut admirer une cloche d’alarme fondue par Motorin, qui sonna le tocsin en septembre 1771 lors de l’insurrection moscovite. Pendant la guerre 1914-1918, Ă  Cauroy-les-Hermonville et en bien d’autres endroits, une cloche Ă©tait installĂ©e dans les tranchĂ©es pour « l’alarme des gaz ».

Attention à vos récoltes !

Nombre de textes anciens et d’inscriptions sur les cloches (dès le XIIIème siècle) attestent de la sonnerie des cloches et de leur « pouvoir » pour refouler les nuĂ©es et la tempĂŞte, Ă©carter la foudre et le tonnerre. La sonnerie de cloches alerte les paysans Ă  l’approche d’un orage pour leur permettre de prendre des dispositions ; elle sert aussi Ă  “ repousser ” l’orage hors du village. Cette pratique de sonner les cloches lors des orages a Ă©tĂ© interdite depuis l’ArrĂŞt du Parlement du 29 aoĂ»t 1787 du fait des risques de foudre pour le sonneur et… le peu d’efficacitĂ© de ce moyen ! D’autres textes rĂ©glementaires ont Ă©tĂ© publiĂ©s Ă©galement dans le mĂŞme sens au cours du XIXème siècle suite Ă  des morts de sonneurs. NĂ©anmoins cette pratique subsiste encore Ă  notre Ă©poque dans quelques villages : Ă  Maupas (Gers), vers 1960 , pour un orage violent, on sonne la grande cloche : trois fois neuf coups ; Ă  Meilhan (Landes), vers 1990 : on sonne dix coups sur la grosse, un coup sur la petite, puis carillon sur les deux pendant la durĂ©e de l’orage. Comme quoi il ne suffit pas de prendre des dispositions rĂ©glementaires pour changer les croyances…

Venez vous abriter par ici !

Dans certaines rĂ©gions comme l’Auvergne, les CĂ©vennes ou les Alpes, on avait coutume, jusqu’Ă  une Ă©poque rĂ©cente, durant les soirĂ©es de tourmente, l’hiver, de sonner les cloches pour guider les voyageurs attardĂ©s ou Ă©garĂ©s dans la neige ou le brouillard. En Lozère, on voit encore quelques clochers dits de tourmente, tĂ©moins de ce que fut la rudesse de la vie dans cette rĂ©gion. Les cloches de ces clochers sonnaient inlassablement dans la brume et la tempĂŞte, se rĂ©pondant l’une Ă  l’autre pour indiquer le chemin au voyageur ou au berger. Ces clochers Ă©taient parfois accolĂ©s Ă  une maison du hameau et c’Ă©tait son propriĂ©taire qui Ă©tait chargĂ© de sonner. Tous les petits carillons de cols dans les PyrĂ©nĂ©es rĂ©pondent au mĂŞme objectif. Le journal Le Petit Troyen signale en 1895 que plusieurs villages de l’Aube maintiennent la coutume de « sonner les cloches pour retrouver les personnes Ă©garĂ©es dans la neige ». A l’ancien monastère d’Aubrac (Aveyron), il y a encore la cloche des perdus.

Avant l’invention des phares, la cloche servait aussi Ă  guider les marins Ă  travers les rochers de la cĂ´te. Dans de nombreux ports normands, on sonnait pendant les nuits de tempĂŞte. De telles cloches de brume, qui Ă©taient installĂ©es sur la jetĂ©e ou au clocher d’une Ă©glise près du port (c’est le cas Ă  Barfleur, Manche), permettaient de signaler l’entrĂ©e de celui-ci (elles sont maintenant remplacĂ©es par des sirènes). Citons la cĂ©lèbre cloche des brouillards du Mont-Saint-Michel.

Attention au train !

Dans le but d’assurer la sĂ©curitĂ© de l’exploitation sur un certain nombre de lignes Ă  voie unique, les compagnies françaises de chemin de fer (puis la SNCF jusque dans les annĂ©es soixante) ont longtemps utilisĂ© les signaux Ă©lectriques Ă  cloches. Le système LĂ©opolder, par exemple, consistait Ă  faire sonner les cloches placĂ©es sur les façades de gares et sur les guĂ©rites des gardes barrières selon un code connu. Tous les trains se dirigeant de la première gare vers la deuxième Ă©taient annoncĂ©s par des sĂ©ries de coups pairs, les trains se dirigeant au contraire de la seconde vers la première par des sĂ©ries de coups impairs. Ainsi tous, agents de gare comme agents de voie, avaient connaissance du dĂ©part du train et de son sens. Des systèmes similaires existaient dans d’autres pays.

Un enfant vient d’ĂŞtre abandonnĂ© !

Dans le Sud-Ouest de la France, une sonnerie spĂ©ciale tintait, autrefois, pour les enfants abandonnĂ©s jusqu’au moment oĂą un parrain d’adoption se dĂ©clarait.

Quelqu’un vient de mourir ! (Le glas)

Le glas est un cas particulier des sonneries de cloches dont l’usage a Ă©tĂ© introduit dès le VIème siècle par l’Église. Les premières attestations de la « cloche des morts » semblent remonter au VIIIème siècle. Au Moyen Age, la sonnerie spĂ©cifique du glas est un service d’Ă©glise bien Ă©tabli qui fait partie des manifestations extĂ©rieures usuelles de la vie religieuse, dans les villes comme dans les campagnes, et peut apporter des revenus aux paroisses. Il est constituĂ© d’un nombre fixe de coups, mais pendant l’Ancien RĂ©gime, ce nombre pourra varier avec la condition sociale du dĂ©funt et donc avec les sommes payĂ©es par les familles. En vallĂ©e de la VĂ©subie, jusqu’au XIXème siècle, on sonnait diffĂ©remment selon que le dĂ©funt Ă©tait un notable ou Ă©tait une personne de pauvre condition ; cette distinction fut abolie au XXème siècle. Mais la façon de sonner le glas varie selon les villages.
La distinction entre les sexes existe dès le XIIIème siècle et semble avoir eu cours longtemps dans de nombreuses régions de France. L’usage subsiste encore dans plusieurs villages.

Dans les sociĂ©tĂ©s rurales traditionnelles, le glas est, en effet, un ensemble de signes dĂ©terminĂ©s qui a pour fonction sociale d’annoncer Ă  toute une communautĂ© la mort d’un de ses membres, et, le cas Ă©chĂ©ant, apporter des prĂ©cisions sur le dĂ©funt (sexe, âge…) ou sur les Ă©tapes du processus conduisant de l’agonie jusqu’Ă  l’enterrement. Exceptionnellement, il peut annoncer la mort d’une personnalitĂ© importante (pape, roi, prĂ©sident de la RĂ©publique…).

L’annonce du dĂ©cès est effectuĂ©e peu après la mort par le curĂ© ou le sacristain sur information donnĂ©e par la famille ou un membre du voisinage. Outre cette fonction informative, le glas est aussi invitation de la communautĂ© Ă  la prière. Dans certaines rĂ©gions, il Ă©tait sonnĂ© plus tĂ´t, au moment oĂą le prĂŞtre portait le Saint-Viatique au mourant, conçu, comme diront certains auteurs, comme un « chant de marche » et symbolisant la marche du mourant vers la vie Ă©ternelle, la marche des fidèles qui sont invitĂ©s Ă  entourer le mourant de leurs prières et Ă  rĂ©aliser leur propre cheminement vers la lumière. Le glas peut se faire entendre après la sonnerie annonçant la messe des obsèques ; il accompagne souvent le cortège funèbre qui conduit le mort du domicile Ă  l’Ă©glise et de l’Ă©glise au cimetière. On retrouve ici le symbolisme d’accompagnement au « voyage » Ă©voquĂ© ci-dessus.

Dans le cas des grands édifices religieux comportant un nombre important de cloche, il était courant de dédier une cloche à cette sonnerie. Ainsi trouve-t-on une cloche des morts à la cathédrale de Sens et une Malespère à la cathédrale de Narbonne.

La sonnerie pour deuil pouvait porter des noms diffĂ©rents selon les “pays” : on parle de finizou en Charente limousine, de Chantepleure dans les rĂ©gions saintongeaise ou angoumoisine, du Pardou Ă  Saint-Porchaire, de Clars dans la vallĂ©e de la VĂ©subie. Dans d’autres rĂ©gions, on dit sonner Ă  mort ou annoncer le trĂ©pas (Pays de Bray). Dans plusieurs paroisses du pays de Bray, on donne le nom d’Ă©peinte Ă  la volĂ©e des cloches sonnĂ©es en deuil. Avant la RĂ©volution , Ă  Lambesc, on sonnait l’Agonisante lorsqu’un malade Ă©tait Ă  l’agonie. A Gournay, en Normandie, on sonnait au siècle dernier le tint du regret lorsque le doyen de la paroisse avait rendu le dernier soupir (mais parfois aussi lors de son dĂ©part, lorsque son service avait Ă©tĂ© apprĂ©ciĂ© et qu’il Ă©tait affectĂ© Ă  une autre paroisse).

En Picardie et dans des régions voisines, il était parfois d’usage d’intercaler la sonnerie des pardons entre chaque glas : 1 cloche en grande volée et tintement sur les deux autres.

On peut constater des variations selon les lieux dans la manière de sonner le glas : la lenteur du rythme de frappe ou l’espacement entre les sĂ©ries de coups, l’alternance plus ou moins systĂ©matique entre les cloches, le nombre de cloches utilisĂ©es introduisent ainsi des variantes rĂ©gionales ou locales.

Par exemple, Ă  Saint-Maurice-des Lions, on sonnait trois fois trois coups puis la grande volĂ©e avec la grosse cloche pour les hommes ; pour les femmes deux fois trois coups puis la grande volĂ©e, et pour un enfant 3 coups puis la grande volĂ©e. Dans le pays de Bray, en Normandie, le nombre de coups tintĂ©s après la volĂ©e variait selon les villages : Ă  Neufchâtel, l’annonce se fait par quinze coups de cloche pour un homme, douze pour une femme, six pour un enfant ; mais Ă  Gournay, on l’annonce par douze coups pour un homme et huit pour une femme. En Aveyron, on sonne trois fois par jour jusqu’aux obsèques. A Saint-Pierre-Laval (Loire), on sonne la veille de l’office, avec l’angĂ©lus (trois fois trois coups puis l’âge est comptĂ© par dizaine sur la petite cloche, puis volĂ©e sur les deux cloches), le matin suivant Ă  7h30, l’angĂ©lus puis le glas ; Ă  midi, l’angĂ©lus et le glas. A Aiguèze (DrĂ´me), on sonne le jour de l’enterrement : sonnerie une heure avant, puis un quart d’heure avant puis au moment du dĂ©part pour le cimetière A Gournay, le glas se sonnait pendant trois quarts d’heure de chaque heure du jour, le quart d’heure restant Ă©tant employĂ© au son de la volĂ©e de la troisième cloche. Pour d’autres dĂ©funts, on sonnait la « cloche perdue » : on sonnait Ă  la volĂ©e la petite cloche, puis la deuxième, puis la troisième et enfin la quatrième, la plus grosse. Après avoir sonnĂ© les quatre cloches pendant quelque temps, on les arrĂŞtait par intermittence, en commençant par la petite et en terminant par la grosse.

Quelques pratiques relevées en France entre 1960 et 2001 :

Homme Femme Selon l’âge ou le statut
Berry 2 coups 3 coups
Hérault 3 coups sur la grosse, 2 coups sur la petite 2 coups sur la grosse, 3 coups sur la petite
Ornon (38) 1 coup sur la grosse cloche, coup suivant avec la moyenne, troisième coup sur la petite, etc. 1 coup sur la moyenne, 1 coup sur la grosse, 1 coup sur la petite, etc.
Maupas (32) 10 coups sur 2 cloches, 2 autres coups sur la grosse cloche, 1 coup sur la petite 9 coups puis 2 puis 1
Village d’Ariège (09) Grosse cloche Petite cloche Nombre de coups correspondant Ă  l’âge
Bénac (09) 3 coups à intervalles réguliers 2 coups Enfant : 1 coup
Curé : 4 coups
Pape : 5 coups
St-Maurice-sur-
Eygues (26)
2 coups sur la grosse cloche 2 coups sur la petite cloche
Trégon (22) Grosse cloche : 9 coups, puis des coups espacés pendant 7 à 8 minutes Grosse cloche : 7 coups, puis des coups espacés pendant 7 à 8 minutes
Caouënnec (22) Grosse cloche : 9 coups (deux fois par jour) Petite cloche : 7 coups (idem)
Montfermier (82) 9 coups 6 coups Enfant : 3 coups
Lesneven (22) Avant l’angĂ©lus, 5 coups Avant l’angĂ©lus, 3 coups La grosse cloche donne des dizaines et la petite les unitĂ©s
Lescure d’Albigeois (81) Grosse cloche (un quart
d’heure avant l’arrivée
du corps puis Ă  la fin de
l’office)
Petite cloche (idem)
Caudesaygues (82) 6 fois 3 coups 9 fois 3 coups 12 fois 3 coups
Espinas (82) 8 coups , suivi de dix
minutes de grosse cloche
en volée lente
9 coups La plus petite des
trois cloches est
réservée au glas des
enfants
Moringhem (62) 3 fois 3 puis une volée 3 fois 2 puis une volée
Aiguèze (26) 2 coups sur la petite,
trois fois dans la journée
avec l’angélus
1 coup sur la petite, idem
Vitry-en-Charolais (71) Grosse cloche en volée et
tintement de la petite si
marié puis grosse en
tintement pour indiquer
l’âge
Mobecq (50) 3 coups 2 coups
Saint-Ignan (31) 3 fois la grosse avant de
faire sonner la petite
2 fois avant de faire
sonner la petite

Occasionnellement, la sonnerie du glas peut être détournée de son usage initial et revêtir un caractère symbolique. Par exemple, le 20 mars 2003, comme dans plusieurs villes, le glas a retenti au beffroi
communal et Ă  la cathĂ©drale de Boulogne-sur-Mer pour exprimer le rejet d’une guerre jugĂ©e injuste et illĂ©gitime en Irak.

Une variante de la sonnerie du glas, signe de deuil et de tristesse, est la « volĂ©e romaine », signe d’espoir : les sonneurs se mettent d’un mĂŞme cĂ´tĂ© de la cloche, comptent jusqu’Ă  dix et tirent sur la corde reliĂ©e au battant, et rĂ©pètent ainsi l’opĂ©ration tous les dix temps.

Sur le plan technique, il convient de noter une particularitĂ© de certains clochers de Normandie : certains sont Ă©quipĂ©s d’un système de « glas Ă  marteau roulant », un dispositif qui permet Ă  la cloche de volĂ©e de « heurter », au milieu de sa robe, un marteau roulant lors de son passage en position verticale pour produire un second son en tierce mineure, donnant ainsi l’impression d’entendre deux cloches sonnant en alternance.

C’est la fĂŞte !

Lorsque l’ensemble des cloches d’une Ă©glise sont mises en volĂ©es, c’est une façon d’annoncer la fĂŞte religieuse majeure, l’Ă©vĂ©nement heureux du baptĂŞme ou du mariage, la cĂ©lĂ©bration de la fin de la guerre… Le bourdon est alors mobilisĂ© au mĂŞme titre que les cloches plus petites. Plus la fĂŞte est d’importance, plus la durĂ©e de la sonnerie sera grande.
Ce qui varie selon le degrĂ© de solennitĂ© est le nombre de cloches utilisĂ©es pour la volĂ©e. Le « plenum » met en jeu, nous l’avons vu plus haut, l’ensemble des cloches de volĂ©e ; cette sonnerie est rĂ©servĂ©e aux grandes fĂŞtes religieuses ou Ă  des circonstances exceptionnelles.

Dans quelques villages, la sonnerie festive est codifiĂ©e. Par exemple, Ă  Montfermier (Tarn-et-Garonne), la sonnerie d’un mariage se fait avec les deux cloches Ă  la volĂ©e, la sonnerie d’un baptĂŞme de garçon se fait avec la grosse cloche alors que celle d’un baptĂŞme de fille se fait avec la petite cloche.

Dans le Sud-Ouest de la France et plus particulièrement dans le Lauragais, on pratique la « volée tournante » : le sonneur qui est auprès de la cloche la fait tourner complètement sur elle-même et fait frapper le battant en position haute. Les clochers peuvent comporter plusieurs cloches équipées pour être tournées.

Un peu de silence, s’il vous plait !

Tel pourrait ĂŞtre le message communiquĂ©e par la clochette agitĂ©e par le PrĂ©sident d’une assemblĂ©e (parlementaire ou autre) lors de dĂ©bats houleux afin de ramener un peu plus de calme dans les lieux

Vous êtes convoqués !

Dans la plupart des clochers de cathédrale, on trouvait une cloche du chapitre : celle-ci servait à annoncer toutes les assemblées capitulaires, les élections des doyens et leur mort.

Dans le cas d’une information longue et complexe, alors qu’il est impossible de transmettre le message instantanĂ©ment par des crieurs publics, la solution est de recourir Ă  un bref signal ordonnant le rassemblement immĂ©diat de toutes les personnes concernĂ©es Ă  un endroit dĂ©terminĂ© oĂą l’information pourra ĂŞtre annoncĂ©e de vive voix et commentĂ©e. Ces communications peuvent ĂŞtre Ă  caractère politique, juridique, institutionnel, judiciaire ou militaire. Ainsi la cloche va-t-elle permettre, par exemple, de convoquer les assemblĂ©es populaires, ou les assemblĂ©es du magistrat, d’inviter le peuple Ă  accueillir une personnalitĂ©, etc.

Dans les beffrois de la rĂ©gion septentrionale, c’est habituellement la Ban-cloque ou cloche banale, c’est-Ă -dire celle qui, entre toutes les cloches civiles, joue le rĂ´le juridique principal, qui annonce les « bans »
ou séances communales et, plus généralement les rassemblements civils.

Lorsqu’une ville n’avait pas de beffroi, de clocher civil, elle plaçait les cloches dans la principale Ă©glise. Si la ville Ă©tait Ă©piscopale, c’Ă©tait la cathĂ©drale qui recevait la cloche des citoyens ou la cloche du magistrat (exemples des cathĂ©drales de Verdun, de Sens, de Strasbourg…). A Sens, la cloche de la Porte Commune est dĂ©diĂ©e Ă  la convocation des citoyens Ă©lecteurs Ă  l’assemblĂ©e. Dans certains cas, la cloche de la ville (parfois un carillon, dans les villes du Nord) Ă©tait installĂ©e dans une tour distincte de celle qui abritait les cloches religieuses, avec un accès sĂ©parĂ© dont le maire avait la clĂ©.

Ce rĂ´le des cloches dans la convocation des magistrats existait dans la plupart des provinces. Les MezĂ©es cognaçaises, en Charente, se rĂ©unissaient ainsi chaque mois au son de la cloche. A Genève, « l’Accord », c’est le nom du bourdon de la cathĂ©drale St-Pierre, est encore sonnĂ© Ă  la main Ă  raison d’un coup par minute avant l’ouverture de chaque session du « Grand Conseil ».

A Ribeauvillé (68), dans la Tour des Bouchers existe encore une cloche de 1468, dénommée Ratsglocke et Brennglocke qui appelait autrefois les membres du conseil de la ville à se réunir De tels usages sont cependant en voie de disparition, d’autres modalités étant utilisées dans la vie
moderne.

Du Moyen Age (Ă©poque de structuration des grandes villes) jusqu’Ă  la RĂ©volution, voire jusqu’au XIXème siècle (arrivĂ©e de l’Ă©lectricitĂ© et d’autres moyens de communication), on peut dire que les cloches des cathĂ©drales sonnaient tout au long de la journĂ©e. Un maĂ®tre sonneur y rĂ©sidait en permanence (il avait son logement – exigu – entre les tours ou dans un recoin de l’Ă©difice) mais ce n’Ă©tait pas suffisant pour mettre en branle les gros bourdons et plusieurs cloches Ă  la fois. Pour les grandes sonneries, il fallait de quinze Ă  vingt sonneurs pour tirer les cordes ou sonner au pied. Une cloche Ă©tait dĂ©diĂ©e Ă  la convocation des sonneurs (cas, par exemple, de la Donatienne de 1687 Ă  la cathĂ©drale de Nantes).

Attention, j’arrive !

Il y avait au XIIIème siècle dans le clocher de la cathĂ©drale de Troyes une cloche dite L’ÉvĂŞque : elle servait Ă  annoncer le retour du prĂ©lat après une absence de trois mois. De mĂŞme, Ă  la cathĂ©drale d’Avranches, l’une des cloches avait pour seule fonction de solenniser le retour de l’Ă©vĂŞque. Le dĂ©cret du 24 messidor an XII exige que les cloches soient toutes sonnĂ©es Ă  l’entrĂ©e du premier Consul, et plus tard de l’Empereur, sur le territoire d’une commune. Il en sera de mĂŞme pour les PrĂ©sidents de la RĂ©publique, du moins au XIXème siècle.

Dans les rues des villes, les marchands ambulants s’annonçaient souvent par une clochette ; c’est encore le cas, par exemple, des rĂ©mouleurs dans les rues de Paris ou des « porteurs d’eau » au Maroc.

A bord des navires

En gĂ©nĂ©ral, Ă  bord des navires, il y a deux cloches : celle de la proue (avant du bateau) est la plus grande et a un son grave; celle de la poupe a un son plus lĂ©ger, ce qui permet Ă  l’Ă©quipage de les distinguer l’une de l’autre.

Pour le dĂ©part du bateau vers l’Ă©tranger, la cloche de la proue est sonnĂ©e une heure avant le dĂ©part, deux fois une demi-heure avant et trois fois pour le dĂ©part.

Lorsque le navire se prĂ©pare Ă  lever l’ancre, le second, qui se tient Ă  la proue, sonne trois fois et le 2ème second, qui est Ă  la poupe, lui rĂ©pond en sonnant Ă©galement trois fois. Cela signifie que trois tours de chaĂ®ne sont dans l’eau. A deux tours de chaĂ®ne dans l’eau, on sonne deux coups et Ă  un tour de chaĂ®ne, on sonne un coup. Quand l’ancre est Ă  sa place, on sonne rapidement Ă  la proue et la poupe lui rĂ©pond de la mĂŞme façon. Le navire peut partir.

Au temps de la marine Ă  voile, on sonnait au moment du changement de tour de garde : on sonne sept coups Ă  la poupe et la proue lui rĂ©pond; cela signifie qu’il est 7h 1/2 et temps de dĂ©jeuner pour ceux qui prennent leur poste Ă  8h. A 8h, on sonne huit coups pour indiquer le changement de poste.

En route, lorsque la vigie de la proue sonne un coup, la poupe lui rĂ©pond; cela signifie qu’il y a feu de position de navire, marque marine ou terre Ă  tribord ; deux coups signifient la mĂŞme chose, mais Ă  bâbord ; trois coups signifient la mĂŞme chose mais droit devant.

Lorsque le navire est dans une zone Ă  fort trafic (en Manche, par exemple), la cloche de bord Ă  la proue doit sonner fortement toutes les deux minutes pour attirer l’attention des autres bateaux.

La sonnerie de la cloche est Ă©galement utilisĂ©e pour divers exercices : sept coups rapides, suivis d’un autre coup signifient le dĂ©but d’un exercice de sauvetage avec uniquement la chaloupe de tribord ; cinq coups rapides rĂ©pĂ©tĂ©s deux fois indiquent un exercice d’incendie.

On utilise la cloche de proue pour signaler le passage de l’Ă©quateur.

Dans le cas d’un dĂ©cès Ă  bord, on utilise Ă©galement la cloche de proue. Lorsque les obsèques sont terminĂ©es, le second sonne huit coups qui signifient un dernier adieu Ă  un camarade qui s’en va pour sa dernière garde.

En guise de conclusion !

Jusqu’Ă  la pĂ©riode rĂ©volutionnaire, les grandes cathĂ©drales, possĂ©daient de dix Ă  vingt cloches ayant des fonctions distinctes. Certains ensembles sont parvenus jusqu’Ă  nous, au moins en partie : Beauvais, Bourges, Colmar, Metz, PĂ©rigueux, Poitiers, Quimper, Sens, Strasbourg, Verdun…

Prenons l’exemple de la cathĂ©drale de Metz. L’ensemble campanaire abritĂ© par ses diffĂ©rents clochers illustre bien les diverses fonctions de communication des cloches et la spĂ©cialisation des rĂ´les confiĂ©es Ă  chacune d’elles pour dĂ©livrer les diffĂ©rents « messages » Ă  l’intention de la population environnante :

  • La tour du chapitre possède trois cloches destinĂ©es aux sonneries religieuses. L’une d’elle, appelĂ©e cloche de prime avait autrefois le rĂ´le d’appeler les chanoines Ă  la seconde prière matinale.
  • La tourelle de l’horloge abrite les cloches de tintement destinĂ©es Ă  marquer les heures.
  • La tour de la Mutte, qui est un beffroi communal, abrite trois cloches : la Mutte, destinĂ©e Ă  appeler les conseillers, le tocsin en tant que cloche d’alarme, et Mademoiselle de Turmel qui sonne le couvrefeu
    de 22h.

Dans certains cas (par exemple à Saint-Lô), le « bourdon » civil avait plusieurs usages : outre la sonnerie du couvre-feu, il sonnait les heures, il sonnait « seize coups pour prévenir le bourgeois de balayer devant sa porte », il convoquait les corps constitués et résonnait pour les remises de prix, les déclarations de guerre et les incendies, il sonnait toutes les fêtes solennelles de la ville et les jours de fêtes religieuses majeures.

L’Ă©quipement des Ă©difices contemporains est malheureusement bien plus pauvre, avec des usages plus restreints : la cathĂ©drale d’Evry (Essonne) construite en 1995 ne comporte que 5 petites cloches sans affectation particulière en dehors de la sonnerie des offices religieux.

Qu’en est-il en ce dĂ©but du XXIème siècle ? Bien d’autres moyens ont Ă©tĂ© inventĂ©s ou dĂ©veloppĂ©s au cours du XXème siècle pour communiquer des messages Ă  la population, ou pour marquer le temps, et la place de la cloche tend Ă  diminuer considĂ©rablement en ville. Le son de la cloche constitue mĂŞme pour certaines personnes une nuisance sonore ! L’Ă©lectrification a aussi contribuĂ© Ă  restreindre la diversitĂ© du langage sonore des cloches, bien que les tableaux de commande modernes sachent prendre en compte certains usages locaux en matière de sonnerie. Question de prix ou de rĂ©glage de la programmation. On peut parfois y trouver encore le tocsin, le glas (avec deux ou trois options), l’angĂ©lus, la sonnerie de volĂ©e ordinaire, la sonnerie festive, le plenum … Mais il s’agit souvent d’un langage fortement « normalisé » et « presse-bouton », sans « accent » local, cette expression propre au sonneur de cloches lorsqu’il tirait la corde ou frappait en direct le bord de la cloche.

RĂ©fĂ©rence de l’article

Cet article a été écrit par Eric Sutter et publié initialement dans le Supplément au numéro 54, de Patrimoine campanaire, Revue francophone de campanologie, en 2007. Nous le reproduisons sur JeRetiens grâce à son accord.

Pour en savoir plus sur la campanologie, visitez le site de la SFC !

Bibliographie

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  • Dossiers documentaires de la SociĂ©tĂ© Française de Campanologie
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  • FournĂ©e (Jean).- Histoire de l’AngĂ©lus : le message de l’Ange Ă  Marie.- P. TĂ©qui, 1991
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  • L’instrument de musique populaire. Usages et symboles. Exposition, MusĂ©e des ATP, 28-11-1980 ;
    19-4-1981
  • Joudrier (AurĂ©lien) – Les cloches mĂ©diĂ©vales avant 1200. Origines et usages des cloches en Occident.
    Mémoire de maîtrise, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, juin 2003
  • Jouffray (Alain) – Art campanaire. – Centre-musĂ©e europĂ©en de l’Isle-Jourdain, 1993
  • Murray Schafer (R.) -Le paysage sonore. Toute l’histoire de notre environnement sonore Ă  travers les
    âges.- JC Lattès, 1979.- 388 p
  • Raincourt & GrĂ©goire – Service d’incendie dans les villes et les campagnes. – 1896.- 280 p
    (Encyclopédie Roret)
  • Sutter (Eric) – La grande aventure des cloches. – Ed. ZĂ©lie, 1993
  • Sutter (Eric) – Petite encyclopĂ©die de la communication sonore. – SFC, 1996 (document de travail
    provisoire)
  • TĂŞte (Elie) – Quels paysages sonores demain ? in Actes du colloque, 9,10,11 juin 1993, Le Creusot
  • Veuclin (V.E.) – La sonnerie des agonisants dans la ville de Bernay.- 1888
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1 réflexion au sujet de « Campanologie : code et langage des sonneries de cloches en Occident »

  1. Bonjour,
    j’ai trouvĂ© votre article très intĂ©ressant mais il n’a pas apportĂ© de rĂ©ponse Ă  mon interrogation.
    Je ne sais pas si vous suivez encore les éventuelles réponses et questions comme celle que je vous soumets.
    Dans mon village, les cloches de l’Ă©glise sonnent Ă  7h, trois coups, ce qui je pense correspond Ă  l’Angelus.
    Cependant, vers 7h10 du matin, et e tous les jours, les cloches tintent 100 fois et personne n’a pu m’expliquer pourquoi ?
    Auriez vous une explication ?
    Merci de votre retour.
    Cordialement
    Le village se nomme Berneuil en charente maritime

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