L’incendie de la Bibliothèque d’Alexandrie a entrainé la perte de la plus grande archive de connaissances du monde antique. Dans cet article, nous retracerons son histoire et verrons pourquoi un tel mystère demeure autour de sa destruction.
Fondation de la ville d’Alexandrie et de sa Bibliothèque
Alexandrie a été fondée en Égypte par Alexandre le Grand en 331 av. J.-C. Son successeur est son général Ptolémée qui prend comme nom de règne, Ptolémée Ier Sôter (sauveur). Ptolémée se fait proclamer roi (et non pharaon, ce titre sera porté par son fils Ptolémée II) et veut faire d’Alexandrie la capitale culturelle du monde hellénique.
En 288 avant J.-C., Ptolémée fonde le Musée (également appelé Musée d’Alexandrie), museîon signifie en grec siège ou palais des muses qui abrite la Bibliothèque qui prend le nom de Bibliothèque royale d’Alexandrie en 283 av. J.-C.
Le Musée est un sanctuaire dédié aux muses sur le modèle du Lycée d’Aristote à Athènes. Le musée est un lieu d’étude qui comprend des espaces de conférence, des jardins, un zoo et des sanctuaires pour chacune des neuf muses ainsi que la Bibliothèque elle-même. On estime qu’à son apogée la Bibliothèque d’Alexandrie abrite plus d’un demi-million de documents provenant d’Assyrie, de Grèce, de Perse, d’Égypte, et d’Inde. Plus de 100 chercheurs vivent à plein temps en résidence au musée pour effectuer des recherches, écrire, donner des conférences ou traduire et copier des documents. Une succursale de la Bibliothèque est également créée et adossée au temple de Sérapis (divinité syncrétique, c’est-à-dire issue de la fusion de différents cultes, créée par Ptolémée pour se faire accepter du monde égyptien. Sérapis prend les traits d’Hadès, d’Apis, et d’Osiris).
Développement de la Bibliothèque et organisation
Les souverains ptolémaïques souhaitent que la Bibliothèque réunisse la collection de toutes les connaissances. Ils s’efforcent d’en élargir les collections par une politique agressive et bien financée d’acquisition de livres (plutôt des palimpsestes et des papyrus). Des agents royaux sont envoyés avec de grosses sommes d’argent et ont pour ordre d’acheter et de collecter autant de textes que possible, sur n’importe quel sujet et par n’importe quel auteur.
Les copies anciennes de textes sont préférées aux nouvelles, car on suppose que les anciennes copies ont été moins copiées et qu’elles sont donc plus susceptibles de ressembler davantage à ce que l’auteur original a écrit. Ce programme comprd des voyages aux salons dédiés aux textes de Rhodes et d’Athènes.
En vertu du décret de Ptolémée II, tous les textes trouvés sur les navires qui entrent au port sont emmenés à la Bibliothèque, où ils sont copiés par des scribes officiels. Les textes originaux sont conservés dans la Bibliothèque, et les copies sont remises aux propriétaires. La Bibliothèque s’est particulièrement attachée à acquérir les manuscrits des poèmes homériques, qui constituent le fondement de l’éducation grecque et sont vénérés par-dessus tout. La Bibliothèque a donc acquis de nombreux manuscrits différents de ces poèmes, en étiquetant chaque copie avec une étiquette pour indiquer sa provenance.
Outre la collection d’ouvrages du passé, le Musée, qui abrite la bibliothèque, sert également de foyer à une foule d’universitaires, de poètes, de philosophes et de chercheurs internationaux qui, selon le géographe grec Strabon, évoluant au premier siècle avant J.-C., reçoivent une bourse conséquente, sont logés et nourris gratuitement et exonérés d’impôts. Ils disposent d’une grande salle à manger circulaire avec un haut plafond en dôme dans laquelle ils prennent leurs repas en commun. Entre trente et cinquante chercheurs sont en permanence en résidence à Alexandrie dès 283 avant J.-C.
L’âge d’or de la Bibliothèque d’Alexandrie dure près d’un siècle et demi.
Déclin de la Bibliothèque d’Alexandrie
Vers 145 av. J.-C. Ptolémée VIII mène une politique de persécution contre les philologues (et l’élite intellectuelle d’Alexandrie), il chasse les savants d’Alexandrie et les contraint à l’exil. Ces persécutions entraînent un changement dans l’histoire de l’érudition hellénistique car les savants qui ont étudié à la Bibliothèque d’Alexandrie et leurs étudiants continuent à mener des recherches et à rédiger des traités, mais généralement en fondant leur propre école. On peut parler d’une diaspora d’érudits alexandrins dans laquelle les érudits se sont d’abord dispersés dans la Méditerranée orientale, puis dans la Méditerranée occidentale.
Le savoir et son étude n’est donc plus centralisé en un endroit, la vie culturelle se déroule désormais à Athènes et à Rhodes.
Pendant ce temps, à Alexandrie, à partir du milieu du deuxième siècle avant J.-C., la domination ptolémaïque en Égypte est moins stable. Confrontés à des troubles sociaux croissants et à d’autres problèmes politiques et économiques majeurs, les derniers Ptolémée ne consacrent pas autant d’attention à la Bibliothèque et au Musée que leurs prédécesseurs. Plusieurs des derniers Ptolémée offrent même le poste de bibliothécaire en chef comme à titre honorifique pour récompenser leurs plus dévoués partisans.En fin de compte, le poste de bibliothécaire en chef et sa trace se perdent dans le temps.
Destructions de la Bibliothèque d’Alexandrie
La Bibliothèque d’Alexandrie a subi au cours de son histoire de nombreuses destructions et incendies.
L’incendie de la Bibliothèque d’Alexandrie par Jules César
Le premier responsable de la destruction de la bibliothèque est autre Jules César. En 48 av. J.-C., César poursuit Pompée en Égypte lorsqu’il est soudainement coupé par une flotte égyptienne à Alexandrie. En infériorité numérique et en territoire ennemi, Jules César ordonne d’incendier les navires du port. L’incendie se propage et détruit la flotte égyptienne. Il brûle également une partie de la ville dont la zone où se trouve la Bibliothèque.
En réalité, seulement un entrepôt situé près des quais utilisés par la Bibliothèque pour abriter les parchemins a brûlé. Quelle que soit la dévastation que l’incendie de César a pu causer, la Bibliothèque n’est manifestement pas complètement détruite comme en témoignent les textes de Strabon vers 20 après J.-C. soit des décennies après l’incendie causé par César.
Perte d’influence et destruction sous la période romaine
Il y a très peu de sources sur la Bibliothèque d’Alexandrie à l’époque de l’Empire Romain (27 av. J.-C. – 284 ap. J.-C.). L’empereur Claude (41-54 ap. J.-C.) aurait construit une annexe à la Bibliothèque, mais il semble que l’histoire générale de la Bibliothèque d’Alexandrie ait suivi celle de la ville d’Alexandrie elle-même. Après l’arrivée des Romains à Alexandrie, le statut de la ville et, par conséquent, celui de sa célèbre Bibliothèque, a progressivement diminué. Alors que le Musée existe encore, les bourses et la possibilité d’y suivre une scolarité n’est pas accordée sur la base des résultats scolaires, mais sur la base de la distinction dans le gouvernement, l’armée, ou même dans l’athlétisme.
Le seul bibliothécaire en chef connu de l’époque romaine est un homme du nom de Tibère Claudius Balbilus, qui vit au milieu du premier siècle après J.-C. et qui est politicien, administrateur et officier militaire sans aucune trace de réalisations ou écrits scientifiques.
Pendant ce temps, alors que la réputation de l’érudition alexandrine décline, la réputation d’autres bibliothèques du monde méditerranéen s’améliore. D’autres bibliothèques voient également vu le jour dans la ville d’Alexandrie elle-même et les parchemins de la Grande Bibliothèque ont peut-être été stockés dans certaines de ces bibliothèques plus petites.Le Césarée et le Claudianum d’Alexandrie sont tous deux connus pour avoir eu de grandes bibliothèques à la fin du premier siècle après J.-C. Le Serapeum, à l’origine la « bibliothèque fille » de la Grande Bibliothèque, adossée au temple de Sérapis, s’est probablement aussi développé durant cette période.
Au deuxième siècle de notre ère, l’Empire romain dépend moins d’Alexandrie (qui ne constitue plus une source de nourriture et d’approvisionnement suffisante), la notoriété de la ville décline encore. Les Romains de cette période se sont également moins intéressés à l’érudition alexandrine, ce qui entraîne un déclin continu de la réputation de la Bibliothèque. Les érudits qui travaillant et étudient à la Bibliothèque d’Alexandrie à l’époque de l’Empire romain sont moins connus que ceux qui y ont étudié pendant la période ptolémaïque. Le mot « alexandrin » est finalement devenu synonyme d’édition de textes, de correction d’erreurs textuelles et de rédaction de commentaires synthétisés à partir de ceux des savants précédents, c’est-à-dire qu’il a pris des connotations de pédantisme, de monotonie et de manque d’originalité. La mention de la Grande Bibliothèque d’Alexandrie et du Musée qui l’abrite disparaît après le milieu du IIIème siècle après J.-C.
En 272 après J.-C., l’empereur Aurélien combat pour reprendre la ville d’Alexandrie aux forces de la reine de Palmyre, Zénobie. Au cours des combats, les forces d’Aurélien détruisent le quartier Broucheion de la ville dans lequel se trouve la bibliothèque principale. Si le Broucheion et la bibliothèque existent encore à cette époque, il est presque certain qu’ils ont été détruits pendant l’attaque. Si ils ont survécu à l’attaque, alors ce qui en restait a été détruit durant le siège d’Alexandrie par l’empereur Dioclétien en 297.
Conflits entre le paganisme et le christianisme
Théophile est patriarche d’Alexandrie de 385 à 412 après J.-C. Sous son règne, le temple de Sérapis est converti en église chrétienne (probablement vers 391 après J.-C.) et il est probable que de nombreux documents sont détruits à cette époque. On estime que le temple de Sérapis contenait environ dix pour cent de l’ensemble des collections de la bibliothèque d’Alexandrie. Après sa mort, son neveu Cyril devenient patriarche. Peu de temps après, des émeutes éclatent lorsque Hiérax, un moine chrétien, est tué publiquement sur ordre du préfet de la ville, Oreste. Oreste est sous l’influence d’Hypatie, une femme philosophe pythagoricienne et fille du dernier membre de la bibliothèque d’Alexandrie.
S’en suivent des émeutes entre les différentes communautés et Hypatie est prise par les chrétiens, traînée dans les rues et assassinée.
Certains considèrent la mort d’Hypatie comme la destruction finale de la Bibliothèque. D’autres reprochent à Théophile d’avoir détruit les derniers parchemins lorsqu’il a rasé le temple de Sérapis avant d’en faire une église chrétienne.
Destruction par le calife Omar
En 640 après J.-C., les musulmans prennent la ville d’Alexandrie. En apprenant l’existence d’une grande bibliothèque contenant tout le savoir du monde, le général conquérant demande des instructions au calife Omar. Le calife aurait déclaré à propos des fonds de la bibliothèque : « soit ils contrediront le Coran, auquel cas ils sont hérétiques, soit ils seront d’accord avec lui, donc ils sont superflus ». Ainsi, tous les textes auraient été détruits en les utilisant comme engrais pour les bains publics de la ville. Même à l’époque, il aurait fallu six mois pour brûler tous les documents. Mais ces détails, de la citation du calife aux six mois incrédules qu’il aurait fallu pour brûler tous les livres, n’ont été écrits pratiquement 600 ans après les faits par l’évêque Bar Hebraeus (1226 – 1286), ce qui laisse supposer une certaine fantaisie et une absence de méthodologie historique.
Qui a brûlé la grande bibliothèque d’Alexandrie ?
Qui a donc brûlé la bibliothèque d’Alexandrie ?
La plupart des écrivains, de Plutarque (qui blâme César) en passant par le britannique du XVIIIème siècle Edward Gibbon (qui blâme les chrétiens et Théophile) ou encore à l’évêque Bar Hebraeus (qui blâme Omar), sont tous partiaux dans leurs récits.
Il est probable que toutes les causes mentionnées ci-dessus ont contribué à la destruction d’une partie des collections de la bibliothèque. La collection a peut-être fluctué au fur et à mesure que certains documents ont été détruits et d’autres ont été ajoutés. Par exemple, Marc Antoine est censé avoir donné à Cléopâtre plus de 200 000 parchemins pour la Bibliothèque bien après que Jules César ait été accusé de l’avoir brûlée.
Il est également fort probable que, même si le musée a été détruit avec la bibliothèque principale, la bibliothèque « fille » du temple de Sérapis a continué à vivre. De nombreux écrivains semblent assimiler la bibliothèque d’Alexandrie à la bibliothèque de Sérapis, bien que techniquement, elles se trouvaient dans deux parties différentes de la ville (voir notre plan en début d’article).
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