L’essor des capitales modernes : des villes-États aux États-nations

Le passage des villes-États aux États-nations illustre la transformation urbaine qui a donné naissance à la capitale moderne. Le statut d’une ville-État était basé sur sa force militaire et sa richesse économique par rapport aux autres villes-États ; c’était une entité autonome et fortifiée . L’État-nation émergent a redéfini cet espace fortifié, et la ville n’est devenue qu’une partie d’un ensemble plus complexe. L’État-nation a imposé une nette distinction entre la ville et l’État. La force de la nouvelle capitale provenait non seulement de la richesse et de la force militaire à l’intérieur des remparts de la ville, mais aussi de ses terres et de ses ressources dans l’arrière-pays national, à l’extérieur des fortifications de la ville. Si la tâche stratégique d’une ville-État était de défendre ses propres frontières, la capitale devait administrer les territoires plus vastes situés bien au-delà des limites de la ville. La montée de l’État-nation a donc transformé le rôle de la capitale, qui est passé d’un site militaire fortifié à une démonstration plus large du pouvoir politique et de la centralité symbolique de la capitale. À Berlin, c’est le passage de sa brève appartenance à la ligue hanséatique des villes de commerce à son rôle de siège du la Marche de Brandebourg, puis de la Prusse et enfin du Reich allemand, chacun de ces états, de ces ensembles, étant plus grand que le précédent. Le passage de la ville-État à l’État-nation a également entraîné un changement dans la loyauté des citoyens : L’État gouverne et commande l’identité personnelle du citoyen, la ville a un pouvoir politique minimal et ses citoyens sont d’abord loyaux envers l’État et non envers la ville.

L’affirmation de la capitale en termes d’occupation de l’espace

Cette expansion territoriale s’est accompagnée d’une hiérarchie politique croissante des villes, avec la capitale à son sommet. Cette expansion a également transformé le pouvoir géopolitique d’une capitale du concret à l’abstrait : la richesse et la puissance militaire de la ville n’étaient pas seulement une source concrète de pouvoir, mais aussi une représentation symbolique de la puissance plus large de la nation. La taille des bâtiments, des monuments et des rues ne démontrait pas seulement la taille et la richesse spécifiques de la ville, mais servait également de substitut, suggérant la taille et la richesse de la nation dans son ensemble. Cela a permis au citoyen et au visiteur de saisir la taille et la richesse de la nation en pleine croissance simplement en faisant un tour de la capitale, de ses musées, bibliothèques, casernes, parcs et prisons. Cette représentation n’était pas toujours exacte : les dirigeants nationaux pouvaient souvent construire de fausses façades pour couvrir les véritables rouages du gouvernement national (à l’instar de l’image que Hitler a donnée au monde lors des Jeux olympiques d’été de 1936 et du délicat passage de la flamme olympique à Berlin, qui ne révélait pas toute la réalité du nazisme). Ou bien les dirigeants peuvent construire des bâtiments, des avenues et des monuments d’une taille gigantesque dans la capitale pour exagérer le sentiment d’importance de la nation et cacher la pauvreté dans l’arrière-pays (comme en Europe de l’Est ou en République Démocratique du Congo).

Le cheminement vers la capitale moderne a également conduit à un appareil urbain et étatique de plus en plus complexe et différencié. Alors qu’à la fin du Moyen Âge, l’appareil d’État était relativement simple avec le palais royal et ses cours, au XVIIème siècle, les capitales sont devenues le centre de l’autorité royale absolue, et encore plus complexe à l’époque moderne. Finalement, quatre institutions sont apparues dans la capitale pour menacer le monopole du pouvoir exercé par les dirigeants royaux : la bureaucratie d’État, le gouvernement municipal de la capitale, la religion organisée et l’élite émergente du monde des affaires.

Vers la fin de du pouvoir absolu des monarques

Comme nous l’avons énoncé, quatre éléments mettent à mal la centralisation « absolue » du pouvoir dans les mains d’un dirigeant et de son entourage.

La bureaucratie

L’apparition d’une bureaucratie semi-autonome a transformé la capitale en créant un contrepoids au pouvoir absolu et centralisé résidant dans le palais. L’émergence de la séparation de la cour royale des administrateurs du gouvernement signifie que les différents éléments de l’État-nation : leadership, administration, richesse, commandement militaire, légitimité politique, symbolisme ne sont plus synonymes, mais sont de plus en plus séparés et dispersés dans les différents bâtiments de la capitale. Les bâtiments abritant le parlement, son personnel, les ministères et les autres agences bureaucratiques de l’État se dressent désormais à côté du palais comme centres et symboles du pouvoir national. Alors que l’on parlait autrefois des terrains du palais, avec l’essor de la capitale moderne, on parle désormais de districts, circonscriptions, arrondissements, de collectivités, etc. comme étant le paysage définitif de la capitale. Les termes changent et varient en fonction des pays.

La gestion municipale

Un deuxième élément de la complexité croissante de la capitale est la différenciation accrue entre les intérêts locaux et nationaux. Les institutions municipales et nationales étaient en concurrence pour l’espace au centre de la ville et pour le contrôle des affaires politiques et économiques. Alors que l’État-nation a construit des bâtiments bureaucratiques, parlementaires et symboliques supplémentaires, le gouvernement municipal a également étendu son rôle et sa présence physique dans l’environnement bâti de la capitale. À Berlin et dans d’autres capitales, le palais et l’hôtel de ville étaient juxtaposés, représentant la relation parfois conflictuelle entre le pouvoir local et le pouvoir national.

La séparation des bâtiments religieux et de pouvoir

Une troisième division dans la capitale, celle qui a une longue histoire, est née de la compétition entre la religion et l’État. Cette relation a évolué sous diverses formes, de la coexistence et de la collaboration à la concurrence, l’hostilité et la répression, et s’est souvent exprimée par une séparation spatiale des deux centres de pouvoir.
Dès l’Athènes antique, l’Acropole et l’Agora se sont juxtaposées comme le centre spirituel éloigné du centre politique, social et culturel.
La disposition spatiale de l’église et de l’État à Rome est l’enclave entièrement séparée de la Cité du Vatican, un pays de seulement 44 hectares, au sein de la capitale pour abriter la religion dominante de la nation. Dans la Londres médiévale,
Henry VIII a modifié la relation entre l’État et la religion en créant l’Église anglicane et en accordant ainsi plus d’autonomie à l’État.
À Moscou, l’Union soviétique s’est approprié le Kremlin, la citadelle de l’Église, et l’a redéfini comme le siège du gouvernement. Le cas de Jérusalem est probablement la juxtaposition la plus problématique de la religion et de la politique, dans laquelle le statut contesté de la ville en tant que capitale d’Israël est largement dû à son rôle de lieu sacré pour les trois religions monothéistes.

La (re)définition des relations entre secteurs publics et privés

La quatrième division est la séparation croissante du pouvoir politique et économique. À mesure que les capitales développaient des bases économiques plus autonomes générées par l’urbanisation massive, l’industrialisation et le commerce, la capitale et les classes moyennes émergentes devenaient une base de pouvoir de plus en plus influente dans les capitales des pays du monde. Cette évolution s’est accompagnée de l’essor des droits personnels et de propriété. Le résultat est que le gouvernement national ne détient plus le monopole de l’influence sur le développement de la ville. Les nouvelles usines, les banques et les sièges sociaux des entreprises se sont élevés pour rivaliser avec les symboles architecturaux de l’État-nation. La capitale représente désormais non seulement le pouvoir militaire et politique de la nation, mais aussi, de plus en plus, le pouvoir de développement économique de la nation. L’intervention du gouvernement est de plus en plus orientée vers l’orientation du dynamisme de l’entreprise privée et du développement, créant une nouvelle relation entre le gouvernement et le secteur privé. À Berlin, l’importance et l’autonomie croissantes de la classe moyenne en dehors du gouvernement prussien (et plus tard impérial allemand) ont transformé la capitale aux XIXème et XXème siècles. La réputation de Weltstadt (ville mondiale) qui s’est imposée à Berlin au XXème siècle est due autant à son nouveau statut économique et culturel dominant qu’à sa fonction politique de capitale.

En conclusion

Ces diverses transformations ont conduit à une capitale du XXème siècle aussi différente de son homologue médiéval que l’État-nation moderne l’était de ses prédécesseurs de royaumes, de duchés, de principautés et d’empires. Les mouvements vers la démocratie, la décentralisation, le fédéralisme, le capitalisme tardif et l’internationalisme ont laissé leur empreinte sur les sièges du gouvernement. Alors qu’autrefois le dôme du palais et la flèche de l’église dominaient l’horizon de la capitale, sont venus plus tard la tour de l’hôtel de ville, la cheminée industrielle, les entrepôts du front de mer, les gratte-ciel commerciaux et les tours de radio-télévision, et plus tard les antennes GSM. La croissance de la capitale moderne de l’État-nation a également donné lieu à un nouvel environnement bâti élargi pour la capitale.

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Sam Zylberberg
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