Les fromages français du Centre (2/5)

Le Centre de la France, avec le Massif central et ses vastes plateaux volcaniques, le Poitou et ses bocages verdoyants, déploie un patrimoine fromager riche et diversifié qui reflète l’authenticité de ses terroirs ruraux. Des hauts plateaux de l’Aubrac aux monts Dore d’Auvergne, des pâturages du Cantal aux prairies poitevines, ces régions centrales conjuguent tradition pastorale ancestrale et savoir-faire fromager préservé, produisant des fromages de caractère appréciés bien au-delà de leurs frontières.

Cette deuxième étape de notre tour de France fromager nous emmène explorer les spécialités du Centre, où le lait de vache domine largement, complété par quelques productions caprines et ovines remarquables. Après avoir découvert les fromages du Nord, et avant d’explorer ceux de l’Est et du Sud, découvrons maintenant les trésors fromagers du cœur de la France qui incarnent l’âme gourmande du terroir central.

⚡ En bref : Les fromages du Centre de la France

Huit fromages et trois plats fromagers emblématiques dominent le Centre : pâtes pressées non cuites du Massif central (Cantal en fourme cylindrique haute, Laguiole de l’Aubrac affiné 1 an, Salers au lait cru fabrication estivale, Saint-Nectaire des monts Dore), pâtes persillées (Fourme d’Ambert cylindrique haute), pâtes molles (Époisses bourguignon à croûte lavée au marc), fromages de chèvre/brebis (Chabichou du Poitou conique, Tricorne de Marans triangulaire brebis). La tome fraîche de Laguiole sert à préparer trois plats traditionnels : l’aligot (purée de pommes de terre + tome), le retortillat (similaire truffade), la patranque (pain + tome).

Le Massif central règne en maître fromager : les hauts plateaux volcaniques d’Aubrac et d’Auvergne (Cantal, Puy-de-Dôme, Aveyron, Lozère) offrent des pâturages d’altitude riches en flores diversifiées où paissent les vaches Salers et Aubrac (races rustiques locales). Le Cantal (AOP 1956, 13 000 tonnes/an) est l’un des plus anciens fromages français (2000 ans, déjà mentionné par Pline l’Ancien). Le Salers, version noble du Cantal, est obligatoirement fabriqué en estive (15 avril-15 novembre) au lait cru dans des gerles en bois traditionnelles. Le Saint-Nectaire (14 000 tonnes/an) se distingue par son affinage sur paille de seigle.

Traditions culinaires et spécificités régionales : l’Auvergne et l’Aubrac ont développé une gastronomie fromagère unique autour de la tome fraîche (caillé pressé non affiné) utilisée dans l’aligot (plat emblématique aubracien servi filant), la truffade (galette de pommes de terre + Salers), le retortillat, la patranque. Le Chabichou poitevin doit son nom aux Sarrasins (« chebli » = chèvre en arabe), témoignage historique de la bataille de Poitiers (732). Le Tricorne de Marans présente une forme triangulaire unique en France. L’Époisses bourguignon, bien que limitrophe, rayonne depuis le Centre vers l’Est.

Infographie des 10 fromages et plats fromagers du Centre de la France : Cantal (Massif central, pâte pressée fourme 35-45kg, AOP 1956, 2000 ans histoire), Salers (Cantal estive, lait cru vaches Salers, gerles bois 6-12 mois), Laguiole (Aubrac Aveyron, lait cru 4-12 mois, fleurs montagne), Saint-Nectaire (monts Dore, affiné paille seigle, AOP 1955), Fourme Ambert (Auvergne, pâte persillée bleu doux, fourme cylindrique, 2000 ans), Époisses (Bourgogne, pâte molle croûte lavée au marc), Chabichou Poitou (Poitou chèvre conique, origine sarrasine 732, AOP 1990), Tricorne Marans (Charente-Maritime brebis/chèvre, forme triangulaire unique), Aligot (Aubrac, purée + tome fraîche filante), Truffade (Cantal, pommes terre + Salers galette).
Les dix fromages et plats fromagers emblématiques du Centre de la France avec leurs régions et caractéristiques. Massif central : Cantal (fourme 35-45kg, pâte pressée non cuite, AOP 1956, 2000 ans d’histoire), Salers (estive uniquement 15 avril-15 nov, lait cru vaches Salers, gerles bois, 6-12 mois affinage), Laguiole (Aubrac Aveyron, lait cru 4-12 mois, fleurs de montagne), Saint-Nectaire (monts Dore Puy-de-Dôme, affiné paille seigle, AOP 1955, 14 000 t/an), Fourme d’Ambert (Auvergne, pâte persillée bleu doux, fourme cylindrique haute, AOP 1972, 2000 ans). Autres régions : Époisses (Bourgogne, pâte molle croûte lavée au marc, roi des fromages), Chabichou du Poitou (Vienne, chèvre forme conique, origine sarrasine 732, AOP 1990), Tricorne de Marans (Charente-Maritime, brebis/chèvre, forme triangulaire unique France). Plats fromagers : Aligot (Aubrac, purée pommes terre + tome fraîche, texture filante spectaculaire, emblème Aubrac), Truffade (Cantal, galette pommes terre + Salers/Cantal fondu, tradition Auvergne). Infographie originale JeRetiens.

Les fromages du Massif central : Cantal, Salers, Laguiole

Le Massif central, avec ses hauts plateaux volcaniques et ses vastes estives, produit trois fromages à pâte pressée non cuite apparentés, témoins d’un savoir-faire fromager ancestral remontant à l’Antiquité.

Le Cantal : le doyen des fromages français

Le Cantal est un fromage français à pâte pressée non cuite en fourme (forme de cylindre haut caractéristique pour ce fromage), originaire du Massif central, principalement du département du Cantal (15) mais aussi de l’Aveyron, Puy-de-Dôme, Corrèze et Haute-Loire. Il bénéficie de l’AOP depuis 1956. Le Cantal peut être fabriqué à partir de lait cru de vache (version fermière, 30% de la production) ou de lait pasteurisé (version laiterie, 70%).

Cantal
Cantal

Le Cantal est l’un des plus anciens fromages français : il était déjà fabriqué il y a 2000 ans par les Gaulois du Massif central et fut mentionné par Pline l’Ancien dans son Histoire naturelle au Ier siècle. Sa fabrication est restée pratiquement inchangée depuis l’époque gallo-romaine, perpétuant un patrimoine technique millénaire. La fourme de Cantal pèse entre 35 et 45 kg pour un diamètre de 36-42 cm et une hauteur de 35-40 cm, dimensions imposantes qui nécessitent 400 à 450 litres de lait.

La fabrication suit un processus complexe : le lait emprésuré forme un caillé qui est découpé, brassé, puis pressé une première fois pour former la tome fraîche (caillé égoutté non affiné, utilisé dans les plats traditionnels). Cette tome est ensuite broyée finement, salée, puis pressée à nouveau dans de grands moules cylindriques durant 48 heures. L’affinage dure minimum 30 jours pour le Cantal jeune (pâte souple, goût lacté doux), 90 à 210 jours pour le Cantal entre-deux (pâte ferme, saveurs plus affirmées de noisette), et plus de 240 jours pour le Cantal vieux (pâte dure avec cristaux, arômes puissants épicés et terreux).

La croûte épaisse du Cantal développe une flore naturelle grise à brun-roux. La pâte est ferme, de couleur ivoire à jaune pâle. Le goût évolue avec l’affinage : lacté et doux jeune, il devient fruité avec des notes de noisette et d’herbe, puis corsé, épicé et long en bouche vieux. Production annuelle : environ 13 000 tonnes. Le Cantal se déguste sur plateau, mais aussi en cuisine (truffade, aligot variante, gratins). C’est le fromage auvergnat par excellence.

Le Salers : la version noble du Cantal

Le Salers est un fromage français au lait cru de vache à pâte pressée non cuite, dont l’affinage dure près d’un an en cave humide. Le Salers bénéficie de l’AOP depuis 1979. Il est principalement fabriqué dans le département du Cantal (15), mais aussi dans une partie de la Corrèze (19), de l’Aveyron (12), du Puy-de-Dôme (63) et de la Haute-Loire (43).

Salers
Salers

Le Salers est souvent considéré comme la « version de luxe » du Cantal car son cahier des charges AOP est beaucoup plus strict : fabrication obligatoire du 15 avril au 15 novembre (période d’estive uniquement), lait exclusivement cru, issu de vaches de race Salers (race rustique locale à robe acajou) nourries exclusivement à l’herbe des pâturages d’altitude, et fabrication dans une gerle en bois traditionnelle (grand récipient tronconique en bois de châtaignier ou chêne) qui confère au fromage des arômes boisés subtils. Ces exigences limitent considérablement la production (environ 1 500 tonnes/an contre 13 000 pour le Cantal).

La fourme de Salers pèse 30 à 50 kg, similaire au Cantal. L’affinage dure minimum 3 mois mais généralement 6 à 12 mois, voire 18 mois pour les Salers « tradition » exceptionnels. La croûte épaisse est brossée régulièrement, prenant une couleur brun-orangé caractéristique. La pâte est ferme à dure selon l’âge, de couleur jaune doré intense (due à la richesse du lait d’estive). Les arômes sont complexes : notes de beurre, noisette, herbes de montagne, cave, avec une finale longue légèrement piquante et fruitée.

Le Salers est utilisé dans la truffade, plat traditionnel emblématique de Haute-Auvergne (département du Cantal). La truffade est une galette épaisse de pommes de terre émincées revenues dans la graisse de canard ou la poitrine fumée, puis mélangées avec du Salers (ou du Cantal) râpé qui fond et forme des fils. Ce plat roboratif accompagne traditionnellement les saucisses auvergnates. Le Salers incarne l’excellence fromagère auvergnate et la perpétuation des méthodes ancestrales d’estive.

La Laguiole : le fromage de l’Aubrac

La Laguiole (prononcer « layole ») est un fromage à pâte pressée non cuite à base de lait de vache cru, dont l’affinage dure minimum 4 mois, généralement 6 à 12 mois, en cave humide. L’AOP date de 1961. La Laguiole est issue de la région d’Aubrac, haut plateau volcanique et granitique situé au centre-sud du Massif central aux confins de trois départements : l’Aveyron (12), le Cantal (15) et la Lozère (48).

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Laguiole

La Laguiole doit son nom au village de Laguiole en Aveyron, bourg aubracien célèbre aussi pour ses couteaux artisanaux. Le fromage est fabriqué exclusivement au lait cru de vaches de race Aubrac ou Simmental qui pâturent les vastes étendues herbeuses de l’Aubrac entre 800 et 1400 mètres d’altitude. Ces pâturages d’estive offrent une flore exceptionnellement riche (plus de 250 espèces végétales) qui confère au lait et au fromage des qualités aromatiques remarquables.

La fourme de Laguiole pèse 40 à 50 kg (similaire au Cantal), de forme cylindrique haute. La fabrication suit un processus proche de celui du Cantal et du Salers : caillage, découpage, brassage, pressage pour obtenir la tome fraîche, broyage de la tome, salage, moulage et pressage final. L’affinage dure 4 à 12 mois dans des caves fraîches et humides du plateau de l’Aubrac. La croûte épaisse est brossée et retournée régulièrement, développant une couleur brun-orangé. La pâte est ferme, souple, de couleur ivoire à jaune paille. Les arômes évoquent le beurre, la noisette, les fleurs de montagne, avec une pointe lactée et une finale légèrement fruitée. Production annuelle : environ 700 tonnes.

La tome fraîche et les plats traditionnels de l’Aubrac

Sous l’appellation de tome fraîche (extrait du cycle de fabrication de la Laguiole, du Cantal et du Salers), on désigne le caillé pressé non salé et non affiné, première étape de la fabrication avant le broyage, le salage et l’affinage final. Cette tome fraîche, qui n’est techniquement pas un fromage fini mais un produit intermédiaire, est devenue un ingrédient emblématique de la gastronomie aubracienne et auvergnate.

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Tome fraîche

La tome fraîche est utilisée pour réaliser trois plats traditionnels majeurs :

L’aligot : plat emblématique de l’Aubrac, c’est une purée de pommes de terre dans laquelle on incorpore de la tome fraîche, de la crème fraîche, du beurre et de l’ail. Le mélange est travaillé longuement à la spatule en bois jusqu’à obtenir une texture extrêmement élastique et filante spectaculaire (le fromage forme des rubans pouvant atteindre plusieurs mètres). L’aligot doit « filer » pour être réussi. Historiquement, l’aligot était servi aux pèlerins de Saint-Jacques-de-Compostelle qui traversaient l’Aubrac. Aujourd’hui, c’est un plat festif et convivial, souvent servi avec des saucisses ou du jambon. L’aligot est devenu le symbole gastronomique de l’Aubrac.

Le retortillat : autre plat typique de la région d’Aubrac, similaire à la truffade auvergnate, mais utilisant de la tome de Laguiole fraîche comme fromage plutôt que du Salers ou du Cantal affiné. C’est une galette de pommes de terre émincées revenues avec de l’ail et du lard, mélangées avec de la tome fraîche qui fond. Le nom « retortillat » vient du geste de « retortiller » (mélanger vigoureusement) les pommes de terre avec le fromage.

La patranque : spécialité culinaire traditionnelle du Cantal (15) dans le Massif central, c’est un plat paysan simple à base de pain rassis et de tome fraîche. On fait tremper le pain dans du lait ou du bouillon, on ajoute la tome fraîche, des œufs, de l’ail, et on cuit le tout au four. C’est un plat de récupération autrefois consommé par les paysans auvergnats, aujourd’hui redécouvert comme spécialité régionale authentique.

Ces trois plats illustrent l’ingéniosité de la gastronomie montagnarde qui transforme un produit fromager intermédiaire en mets généreux et réconfortants.

Les autres fromages du Centre : Saint-Nectaire, Fourme d’Ambert, Époisses

Le Saint-Nectaire : le fromage des monts Dore

Le Saint-Nectaire est une appellation d’origine protégée désignant un fromage français de lait de vache à pâte pressée non cuite, fabriqué dans la micro-région des monts Dore, pays montagneux à cheval sur les départements du Cantal (15) et du Puy-de-Dôme (63) en Auvergne. L’AOP date de 1955, faisant du Saint-Nectaire l’un des premiers fromages français protégés.

Saint Nectaire
Saint-Nectaire

Le Saint-Nectaire doit son nom au maréchal de Sennecterre qui l’aurait fait découvrir à Louis XIV au XVIIe siècle. Le roi aurait tant apprécié ce « fromage de seigle » (appelé ainsi car affiné sur paille de seigle) qu’il en fit servir régulièrement à sa table, contribuant à sa renommée. Le Saint-Nectaire se présente sous forme de disque plat (21 cm de diamètre, 5 cm d’épaisseur) pesant 1,7 kg environ. Deux versions existent : Saint-Nectaire fermier (plaque de caséine ovale verte, au lait cru, 1 000 tonnes/an) et Saint-Nectaire laitier (plaque rectangulaire verte, lait pasteurisé ou cru, 13 000 tonnes/an).

La particularité du Saint-Nectaire réside dans son affinage sur paille de seigle durant minimum 28 jours (généralement 5 à 8 semaines) dans des caves humides. Cette paille développe des moisissures naturelles (Mucor, Penicillium) qui donnent à la croûte sa couleur gris-blanc à orangé caractéristique et contribuent aux arômes. La pâte est souple, onctueuse, de couleur crème à ivoire, avec parfois quelques petits trous. Le goût est doux, lacté, avec des notes de champignon, noisette, cave et crème. L’odeur est modérée, légèrement musquée.

Le Saint-Nectaire fermier, plus typé, développe des saveurs plus complexes de sous-bois et de terroir que la version laitière plus standardisée. C’est un fromage accessible, polyvalent, apprécié aussi bien sur plateau qu’en cuisine (gratins, tartes). Le Saint-Nectaire incarne la douceur fromagère auvergnate et reste l’un des fromages AOP les plus consommés en France.

La Fourme d’Ambert : le bleu auvergnat

La Fourme d’Ambert est un fromage de vache à pâte persillée (fromage bleu), de la région Auvergne, principalement du Puy-de-Dôme (63) et de la Loire (42). L’AOP date de 1972 pour la Fourme d’Ambert et la Fourme de Montbrison (appellations distinctes depuis 2002, bien que très similaires). « Fourme » signifie « forme » en auvergnat, référence à la forme cylindrique haute caractéristique.

Fourme d'Ambert
Fourme d’Ambert

La Fourme d’Ambert est l’un des plus anciens fromages bleus au monde : des recherches historiques suggèrent qu’elle était déjà fabriquée il y a 2000 ans par les Arvernes (peuple gaulois d’Auvergne). Son nom provient de la ville d’Ambert dans le Puy-de-Dôme. La fourme se présente sous forme de cylindre haut (13 cm de diamètre, 19 cm de hauteur) pesant 2 à 2,5 kg. Cette forme élancée la distingue visuellement des autres fromages bleus français généralement plus larges et plats.

La fabrication fait appel au Penicillium roqueforti (champignon responsable des veines bleues) ajouté au lait lors de l’emprésurage. Le caillé est découpé, moulé, puis le fromage est percé avec de fines aiguilles pour permettre l’aération et le développement des moisissures internes. L’affinage dure minimum 28 jours (généralement 2 à 3 mois) en cave fraîche et humide. La croûte fine est gris-orangé avec des moisissures naturelles blanches. La pâte est de couleur ivoire à crème, parsemée de veines bleues-vertes bien réparties mais moins denses que le Roquefort.

Le goût de la Fourme d’Ambert est remarquablement doux pour un fromage bleu : crémeux, onctueux, avec des notes de champignon, cave, noisette et une légère pointe salée. Son caractère peu piquant en fait un fromage bleu d’initiation idéal, accessible même aux palais non habitués. La texture est fondante, presque beurrée. Production annuelle : environ 6 000 tonnes. La Fourme d’Ambert se déguste sur plateau, mais excelle aussi en cuisine (sauces, gratins, salades) et en accord sucré-salé avec des poires ou du miel.

L’Époisses : le bourguignon à croûte lavée

L’Époisses est un fromage français à pâte molle, à croûte lavée, de la région Bourgogne-Franche-Comté (Côte-d’Or (21), Yonne (89), Haute-Marne (52)). Son nom vient de la commune d’Époisses située dans le département de la Côte-d’Or. Bien que bourguignon (donc limitrophe entre Centre et Est), l’Époisses rayonne historiquement depuis le centre de la Bourgogne. L’AOP date de 1991.

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Époisses

L’Époisses fut créé au XVIe siècle par les moines cisterciens de l’abbaye d’Époisses. Il faillit disparaître après la Première Guerre mondiale mais fut relancé en 1956 par la famille Berthaut qui en assure encore aujourd’hui la production principale. L’Époisses se présente en deux formats : petit (250-350g, 9,5-11,5 cm de diamètre) et grand (700g-1,1kg, 16,5-19 cm). L’affinage dure minimum 28 jours avec lavages 2 à 3 fois par semaine au marc de Bourgogne (eau-de-vie de raisin), ce qui confère à la croûte sa couleur rouge-orangé caractéristique et son odeur très puissante.

L’Époisses est considéré comme l’un des fromages français les plus odorants, au point d’être parfois interdit dans les transports en commun ! Mais comme souvent avec les pâtes lavées, le goût est plus doux que l’odeur ne le suggère. La pâte est onctueuse, crémeuse, fondante à cœur, de couleur crème à jaune pâle. Les arômes mêlent notes lactées, cave, champignon, avec une légère pointe animale et une touche alcoolisée due au marc. Brillat-Savarin le qualifiait de « roi des fromages ». Il se déguste idéalement à température ambiante avec du pain et un vin rouge de Bourgogne puissant (Gevrey-Chambertin, Pommard) ou du marc. Production annuelle : environ 1 500 tonnes. L’Époisses incarne la puissance et le caractère de la gastronomie bourguignonne.

Les fromages de chèvre et de brebis : Chabichou et Tricorne de Marans

Le Chabichou du Poitou : le petit cône poitevin

Le Chabichou du Poitou est un fromage à base de lait cru de chèvre, à la croûte fine naturelle blanche à bleutée, dont la forme caractéristique ressemble à un petit cône légèrement bombé. Son affinage est effectué dans le Haut-Poitou. L’AOP date de 1990. Le Poitou est une ancienne province française comprenant les actuels départements de la Vendée (Bas-Poitou) (85), des Deux-Sèvres (79) et de la Vienne (Haut-Poitou) (86).

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Chabichou

Le nom « Chabichou » proviendrait de l’arabe « chebli » signifiant « chèvre », introduit par les Sarrasins après leur défaite à la bataille de Poitiers en 732 face à Charles Martel. Certains soldats sarrasins se seraient installés dans la région, apportant avec eux leurs chèvres et leur savoir-faire fromager. Cette étymologie fait du Chabichou un témoignage historique fascinant d’un métissage culturel ancien. Le Chabichou se présente sous forme tronconique (6 cm de hauteur, 6 cm de diamètre à la base) pesant 150 grammes minimum.

L’affinage dure minimum 10 jours (généralement 2 à 3 semaines) en cave ventilée. La croûte fine se couvre naturellement d’une légère moisissure blanche à bleutée. La pâte est blanche, ferme mais fondante, homogène. Le Chabichou jeune (2 semaines) offre des saveurs caprines douces, légèrement acidulées, avec des notes de noisette fraîche. Plus affiné (3-4 semaines), il développe un caractère caprin plus affirmé, une texture plus crémeuse et des arômes de sous-bois. Production annuelle : environ 1 500 tonnes.

Le Chabichou s’accorde parfaitement avec les vins blancs secs du Poitou ou de Loire (Sancerre, Pouilly-Fumé), mais aussi avec les vins rouges légers. Il se consomme sur plateau, mais aussi légèrement tiédi au four sur toast, ou en salade poitevine. Le Chabichou incarne la tradition caprine poitevine et reste un incontournable des plateaux de fromages de chèvre français.

Le Tricorne de Marans : le triangle charentais

Le Tricorne de Marans est un fromage français à pâte molle, de forme triangulaire unique en trois angles, fabriqué dans le nord de la Charente-Maritime (17) et le sud des Deux-Sèvres (79), dans la région Poitou-Charentes. Le Tricorne de Marans est à base de lait cru de brebis, et parfois à base de lait de chèvre. Il ne bénéficie pas d’AOP mais reste une spécialité fromagère régionale typique.

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Tricorne de Marans

Le Tricorne doit son nom à la ville de Marans en Charente-Maritime, proche du marais poitevin, et à sa forme triangulaire évoquant le chapeau tricorne porté au XVIIIe siècle. Cette forme géométrique originale, obtenue par un moule triangulaire spécifique, fait du Tricorne de Marans le seul fromage français triangulaire (les autres fromages triangulaires étant des portions découpées). Le fromage pèse 180 à 200 grammes, avec des côtés de 8-9 cm.

L’affinage dure 2 à 4 semaines en cave. La croûte fine développe des moisissures naturelles blanches à grises. La pâte est souple, crémeuse, de couleur blanche à crème. Le goût du Tricorne au lait de brebis est doux, légèrement lactique, avec des notes caractéristiques du lait de brebis (plus doux et moins caprin que le chèvre), une texture onctueuse et une finale légèrement noisettée. La version au lait de chèvre est plus acidulée et typée.

Le Tricorne de Marans est un fromage confidentiel, produit artisanalement par quelques producteurs locaux. Il reste méconnu en dehors de sa région d’origine mais mérite d’être découvert pour son originalité et son caractère authentique. Il se déguste sur plateau, accompagné de vins blancs secs charentais ou de Pineau des Charentes (vin de liqueur régional). La production reste très limitée (quelques tonnes annuelles), ce qui en fait un fromage de niche pour amateurs de spécialités régionales rares.

Conclusion : le cœur fromager de la France rurale

Le Centre de la France déploie un patrimoine fromager profondément ancré dans l’histoire et les traditions rurales du Massif central et du Poitou. L’Auvergne-Aubrac règne en maître avec ses trois fromages apparentés à pâte pressée non cuite (Cantal doyen bimillénaire, Salers noble au lait d’estive en gerle de bois, Laguiole de l’Aubrac) qui incarnent la perpétuation d’un savoir-faire fromager gallo-romain pratiquement inchangé depuis 2000 ans. Ces grandes fourmes cylindriques pesant 35 à 50 kg témoignent d’une organisation pastorale collective où les fermiers mettaient en commun leur production laitière.

La gastronomie auvergnate et aubracienne a développé une créativité unique autour de la tome fraîche, produit intermédiaire de fabrication transformé en plats emblématiques : l’aligot spectaculaire et filant (symbole de l’Aubrac), la truffade roborative au Salers (âme du Cantal), le retortillat et la patranque. Ces mets montagnards généreux illustrent l’ingéniosité paysanne qui valorise chaque étape de la production fromagère. Le Saint-Nectaire des monts Dore (affiné sur paille de seigle) et la Fourme d’Ambert (bleu doux bimillénaire) complètent cette palette auvergnate d’exception. L’Époisses bourguignon, « roi des fromages » selon Brillat-Savarin, apporte sa puissance olfactive et son caractère lavé au marc. Le Poitou et la Charente contribuent avec leurs productions ovines et caprines : le Chabichou conique (héritage sarrasin du VIIIe siècle) et l’original Tricorne de Marans triangulaire. Le Centre incarne ainsi l’authenticité fromagère française, loin des productions industrielles, perpétuant des traditions ancestrales dans les vastes paysages volcaniques et bocagers du cœur rural de l’Hexagone.

Carte récapitulative des fromages de France

Voici une carte récapitulative complète des fromages AOP du Nord, du Centre, de l’Est et du Sud de la France, avec les noms des départements et leurs numéros respectifs :

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FAQ : Tout savoir sur les fromages du Centre de la France

Quelle est la différence entre Cantal, Salers et Laguiole ?

Ces trois fromages sont apparentés et partagent la même technique de fabrication ancestrale (pâte pressée non cuite en fourme cylindrique haute), mais présentent des différences significatives de cahier des charges. Cantal (AOP 1956, 13 000 t/an) : le plus répandu, fabriqué toute l’année au lait cru ou pasteurisé, dans 5 départements du Massif central, affinage 1-8 mois selon version (jeune/entre-deux/vieux), meule 35-45 kg. Salers (AOP 1979, 1 500 t/an) : version noble, fabrication obligatoire en estive (15 avril-15 novembre uniquement), lait exclusivement cru de vaches Salers nourries à l’herbe, fabrication dans gerles en bois traditionnelles (confère arômes boisés), affinage 3-18 mois, zone plus restreinte (principalement Cantal), meule 30-50 kg, saveurs plus complexes et typées. Laguiole (AOP 1961, 700 t/an) : spécificité aubracienne, lait cru de vaches Aubrac/Simmental des hauts plateaux de l’Aubrac (800-1400m), zone la plus restreinte (Aveyron, Cantal, Lozère), affinage 4-12 mois, meule 40-50 kg, arômes de fleurs de montagne dus à la flore exceptionnelle de l’Aubrac (250 espèces). Le Salers et la Laguiole sont plus typés et rares que le Cantal. Les trois peuvent techniquement être transformés en tome fraîche pour l’aligot et la truffade.

Comment prépare-t-on un véritable aligot de l’Aubrac ?

L’aligot authentique nécessite des ingrédients de qualité et une technique précise. Ingrédients (pour 4 personnes) : 1 kg de pommes de terre farineuses (Bintje), 400-500g de tome fraîche de Laguiole (ou Cantal/Salers), 2 gousses d’ail, 20cl de crème fraîche épaisse, 50g de beurre, sel, poivre. Préparation : éplucher et couper les pommes de terre en morceaux, les cuire à l’eau salée 20-25 minutes jusqu’à tendreté parfaite. Égoutter soigneusement et écraser en purée fine (pas de morceaux). Chauffer la purée dans une grande casserole à feu doux, ajouter le beurre, la crème et l’ail écrasé, bien mélanger. Incorporer progressivement la tome fraîche coupée en petits morceaux en remuant constamment et vigoureusement avec une spatule en bois (ou cuillère en bois, jamais de fouet métallique). L’étape cruciale : continuer à remuer énergiquement pendant 10-15 minutes, en soulevant régulièrement la préparation pour l’aérer. La tome doit fondre complètement et former des fils élastiques très longs. L’aligot est prêt lorsqu’il « file » sur plusieurs mètres sans se casser (le test : soulever la spatule verticalement, l’aligot doit former un ruban continu). Servir immédiatement très chaud avec des saucisses, du jambon ou seul. L’aligot doit être onctueux, lisse, brillant et extraordinairement élastique. Secret : ne jamais cesser de remuer et travailler vigoureusement le mélange pour développer l’élasticité. Un vrai aligot aubracien est un spectacle gastronomique !

Pourquoi le Saint-Nectaire est-il affiné sur paille de seigle ?

L’affinage du Saint-Nectaire sur paille de seigle est une technique traditionnelle ancestrale qui remonte au moins au XVIIe siècle et répond à plusieurs objectifs pratiques et qualitatifs. Régulation de l’humidité : la paille de seigle, disposée sur les planches d’affinage en cave, absorbe l’excès d’humidité en surface du fromage tout en maintenant un environnement humide général favorable à l’affinage. Cela évite que le fromage ne colle aux planches et facilite les retournements réguliers. Développement de la flore d’affinage : la paille de seigle héberge naturellement des micro-organismes spécifiques (champignons Mucor, levures, bactéries) qui colonisent la surface du fromage et participent à la formation de la croûte et au développement des arômes. Ces moisissures grises, blanches et orangées caractéristiques donnent au Saint-Nectaire son aspect et ses notes de champignon, cave et sous-bois. Aromatisation subtile : le contact avec la paille confère au fromage des notes végétales, de foin, de céréales qui complètent le profil aromatique. Tradition historique : autrefois, les fermiers auvergnats utilisaient naturellement la paille disponible (sous-produit de la culture du seigle, céréale rustique cultivée en montagne) pour l’affinage dans les caves, et cette pratique s’est perpétuée. Le cahier des charges AOP impose aujourd’hui l’utilisation exclusive de paille de seigle pour garantir l’authenticité et la typicité du Saint-Nectaire. C’est cette alliance fromage-paille qui fait du Saint-Nectaire le « fromage de seigle » tant apprécié de Louis XIV.

La Fourme d’Ambert est-elle aussi forte que le Roquefort ?

Non, absolument pas ! Bien que tous deux soient des fromages à pâte persillée (fromages bleus) élaborés avec Penicillium roqueforti, la Fourme d’Ambert et le Roquefort présentent des profils gustatifs très différents. Fourme d’Ambert : goût remarquablement doux, crémeux, onctueux pour un fromage bleu. Texture fondante presque beurrée, veines bleues bien réparties mais moins denses, arômes délicats de champignon, cave, noisette, légère pointe salée mais aucun piquant. C’est le fromage bleu français le plus doux, idéal pour initiation, accessible même aux enfants. Roquefort : goût puissant, intense, caractère affirmé. Texture crémeuse mais plus friable, veines bleues-vertes très denses et marquées, arômes prononcés de champignon, sous-bois, notes animales, salinité importante (4-5% de sel), finale piquante et persistante. Le Roquefort divise : on l’adore ou on le déteste. Raisons des différences : lait de brebis pour Roquefort (plus gras et typé) vs lait de vache pour Fourme (plus doux), affinage en caves naturelles humides à courants d’air (fleurines) pour Roquefort (conditions uniques favorisant moisissures intenses) vs caves classiques pour Fourme, salage plus important du Roquefort, durée d’affinage souvent plus longue pour Roquefort (3-9 mois) que Fourme (2-3 mois). En termes de force : Roquefort 8-9/10, Fourme d’Ambert 3-4/10. Si vous trouvez les fromages bleus trop forts, essayez la Fourme d’Ambert : vous serez agréablement surpris par sa douceur !

Peut-on remplacer la tome fraîche par du fromage râpé dans l’aligot ?

Non, et c’est fondamental pour réussir un véritable aligot ! La tome fraîche possède des propriétés uniques irremplaçables. Tome fraîche : c’est le caillé pressé non affiné, non salé, obtenu lors de la première phase de fabrication du Cantal, Laguiole ou Salers. Structure protéique intacte, grande élasticité naturelle due aux caséines non dégradées, capacité à former des fils extrêmement longs (plusieurs mètres) quand chauffée et travaillée vigoureusement, texture fraîche et humide. Fromage affiné râpé (Cantal vieux, Comté, etc.) : les protéines sont partiellement dégradées par l’affinage, structure rigide, perd l’élasticité, fond mais ne file pas ou très peu, texture sèche. Résultat avec fromage affiné : vous obtiendrez une purée de pommes de terre fromagée correcte, mais jamais l’aligot spectaculaire et élastique caractéristique. L’aligot doit « filer » sur plusieurs mètres, c’est sa signature ! Alternatives si tome fraîche introuvable : Cantal/Laguiole/Salers jeune (moins de 2 mois d’affinage, encore relativement élastique, résultat correct mais inférieur), mozzarella + Cantal jeune (la mozzarella apporte élasticité, mélange 50/50, compromis acceptable). Certains producteurs vendent de la tome fraîche sous vide (conservation 2-3 semaines au frigo), disponible en fromageries spécialisées ou en ligne. Pour un aligot authentique aubracien, la tome fraîche de Laguiole est irremplaçable : c’est elle qui crée la magie élastique !

Le Chabichou doit-il son nom aux Sarrasins ?

Oui, c’est l’étymologie la plus probable et la plus répandue, bien que non totalement prouvée. Selon la tradition, le nom « Chabichou » proviendrait de l’arabe « chebli » ou « chèbli » signifiant « chèvre ». Après la défaite des troupes musulmanes à la bataille de Poitiers en 732 face à Charles Martel (bataille qui stoppa l’expansion arabe en Europe occidentale), certains soldats sarrasins auraient été faits prisonniers ou se seraient installés dans la région du Poitou. Ils auraient apporté avec eux leurs chèvres (les Arabes étaient d’excellents éleveurs caprins) et leur savoir-faire fromager, contribuant au développement de l’élevage caprin poitevin et à la création du Chabichou. Cette origine arabo-andalouse expliquerait aussi la forme conique du fromage, évoquant les bonnets orientaux. D’autres étymologies sont proposées : déformation de « cabri-chou » (petit chou de chèvre), mais l’hypothèse sarrasine reste la plus crédible historiquement. Quoi qu’il en soit, cette origine fait du Chabichou un témoignage fascinant d’un métissage culturel ancien entre civilisations arabe et européenne, fruit d’un événement historique majeur (bataille de Poitiers 732). Le Chabichou perpétue ainsi depuis 13 siècles une tradition fromagère née de la rencontre – même conflictuelle – entre deux mondes. Cette histoire ajoute une dimension culturelle et patrimoniale exceptionnelle à ce petit fromage de chèvre poitevin.

Pourquoi le Tricorne de Marans a-t-il une forme triangulaire ?

La forme triangulaire unique du Tricorne de Marans est à la fois un choix esthétique distinctif et une référence historique. Origine du nom : « tricorne » désigne le chapeau à trois cornes (trois pointes relevées) très populaire aux XVIIe et XVIIIe siècles, notamment porté par les militaires, marins et nobles. La forme du fromage évoque ce chapeau emblématique de l’époque moderne. La région de Marans, proche du port de La Rochelle et du marais poitevin, était un territoire de passage maritime et militaire où le tricorne était courant. Distinction commerciale : au XIXe-XXe siècle, quand le Tricorne fut créé (date exacte incertaine, mais production attestée début XXe), les fromagers cherchaient à se distinguer sur les marchés locaux. La forme triangulaire originale permettait une reconnaissance immédiate et une différenciation par rapport aux nombreux fromages ronds ou cylindriques. Particularité technique : le Tricorne de Marans est l’unique fromage français à forme triangulaire native (obtenue par moulage triangulaire), les autres « triangles » étant des portions découpées de fromages ronds (comme les portions de Brie). Cette singularité en fait une curiosité fromagère. Symbolique régionale : le triangle peut aussi évoquer les trois départements du Poitou historique (Vendée, Deux-Sèvres, Vienne) dont le Tricorne est issu. Aujourd’hui, cette forme distinctive reste la signature identitaire du Tricorne de Marans, fromage confidentiel mais authentique spécialité charentaise méritant d’être préservée et promue.

Les fromages du Massif central sont-ils tous au lait de vache ?

Oui, la quasi-totalité ! Les grands fromages AOP du Massif central (Cantal, Salers, Laguiole, Saint-Nectaire, Fourme d’Ambert) sont tous élaborés exclusivement au lait de vache. Cette prédominance bovine s’explique par plusieurs facteurs géo-climatiques et historiques. Adaptation au climat continental montagnard : le Massif central connaît des hivers rigoureux et des étés tempérés avec précipitations régulières, climat favorable à l’élevage bovin laitier qui nécessite de l’eau abondante et des prairies vertes. Les hauts plateaux volcaniques (Aubrac, Cantal, monts Dore, monts du Forez) offrent de vastes pâturages d’altitude (800-1400m) riches en flores diversifiées (250-500 espèces végétales) idéaux pour les vaches. Races locales adaptées : le Massif central a développé des races bovines rustiques parfaitement adaptées à l’altitude et au climat : Salers (robe acajou, excellente laitière de montagne), Aubrac (très rustique, résiste au froid), Ferrandaise (Puy-de-Dôme). Ces races produisent un lait de qualité exceptionnelle grâce aux flores alpines. Histoire et tradition : l’élevage bovin laitier est attesté en Auvergne depuis l’époque gauloise (2000 ans), le Cantal était déjà fabriqué par les Arvernes et mentionné par Pline l’Ancien. Cette tradition bimillénaire s’est perpétuée sans discontinuer. Volume de production : les grandes fourmes (35-50 kg) nécessitent 400-450 litres de lait, quantités plus faciles à obtenir avec des troupeaux bovins qu’avec des petits ruminants. Les chèvres et brebis sont peu présentes dans le Massif central, concentrées plutôt dans le Sud méditerranéen (climat plus sec) ou les Pyrénées. Seul le Centre-Ouest (Poitou, Charentes) développe l’élevage caprin et ovin avec le Chabichou et le Tricorne de Marans.

Quelle est la meilleure saison pour déguster le Salers ?

Le Salers de printemps-été (fabriqué en mai-juin-juillet, affiné 6-12 mois, dégusté en automne-hiver-printemps suivant) est généralement considéré comme le meilleur. Explication : le cahier des charges AOP impose que le Salers soit fabriqué uniquement du 15 avril au 15 novembre (période d’estive où les vaches Salers pâturent en liberté dans les hauts pâturages de l’Aubrac et du Cantal). Durant cette période, deux moments sont particulièrement favorables : Mai-juin (printemps) : les prairies sont à leur apogée de floraison, explosant de diversité botanique (trèfles, graminées, fleurs sauvages, herbes aromatiques). Le lait est extrêmement riche et parfumé, donnant des Salers aux arômes floraux, herbacés et fruités d’une complexité remarquable. Les Salers « de printemps » sont très recherchés. Juillet-août (été) : les vaches montent dans les estives d’altitude maximale (jusqu’à 1400m), les herbes sont plus courtes mais très concentrées en arômes, le lait développe des notes de fleurs de montagne, de foin. Les Salers « d’été » sont puissants et typés. Septembre-octobre (fin d’estive) : les vaches redescendent progressivement, le lait est encore de qualité mais légèrement moins typé. Après affinage minimum de 3 mois (souvent 6-12 mois), les Salers fabriqués au printemps-été arrivent à maturité en automne-hiver-printemps suivant, période idéale de dégustation. Un Salers fabriqué en mai, affiné 10 mois, dégusté en mars de l’année suivante, sera au sommet de sa forme. À l’inverse, impossible de trouver du Salers fabriqué en hiver (fabrication interdite hors estive). Cherchez les mentions « Salers tradition » (production fermière estivale, gerle de bois, lait de vaches Salers) pour l’excellence maximale.

Peut-on fabriquer du Cantal chez soi ?

Techniquement oui, mais ce sera un « fromage de type Cantal » et non un véritable Cantal AOP. L’appellation Cantal est strictement protégée et impose : zone géographique délimitée (5 départements du Massif central), lait de vaches spécifiques, fabrication selon cahier des charges précis, affinage minimum contrôlé. Sans ces conditions, impossible de revendiquer le nom « Cantal ». Fabrication amateur possible : vous pouvez fabriquer un fromage à pâte pressée non cuite inspiré du Cantal en suivant ces étapes : acheter du lait cru entier de vache (10 litres pour ~1kg de fromage), chauffer à 32-34°C, ajouter ferments lactiques et présure, laisser cailler 30-40 minutes, découper le caillé en cubes de 1cm, brasser doucement 10 minutes, laisser reposer 5 minutes, égoutter partiellement, presser le caillé dans un linge pendant 4-6 heures pour obtenir la « tome » (premier pressage), découper/broyer cette tome en petits morceaux, saler (2-3% du poids), mélanger, placer dans un moule à fromage cylindrique haut, presser fortement pendant 24-48 heures (poids 5-10 kg sur le piston), démouler, sécher 2-3 jours à température ambiante pour former une croûte, affiner en cave fraîche (10-12°C, 85-90% humidité) pendant 1-6 mois en retournant tous les 2-3 jours et brossant la croûte. Difficultés : contrôle précis température/humidité, nécessité d’une presse à fromage, gestion de l’affinage (risques de moisissures indésirables). Le résultat sera un fromage artisanal intéressant mais n’aura pas la complexité du vrai Cantal qui dépend du terroir (lait, caves, savoir-faire séculaire). La fromagerie amateur est légale pour consommation personnelle, passionnante, mais exigeante. Respectez les AOP : ne revendiquez jamais une appellation protégée.

Adrien Verschaere
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