Je discutais ce matin en « visio » avec Vincent Delourmel. C’est un illusionniste et un artiste de la mémoire. Il m’expliquait qu’il avait complètement abandonné son premier métier de producteur d’évènements autour de la « magie ». Il se consacre désormais aux conférences et se produit comme mnémoniste. Et il en vit apparemment très bien.
Peu de gens peuvent prétendre, comme lui, vivre de l’art de la mémoire. C’est que, pour devenir un mnémoniste hors pair il faut s’entrainer tous les jours. C’est un métier. Personne ne pourra faire de vous un mémorisateur prodige en 10 leçons. Vous pouvez certainement passer d’une mémoire de poisson rouge à une mémoire d’éléphant. Oui, mais vous ne le ferez jamais rapidement et facilement.
En fait, améliorer l’efficacité de sa mémoire n’est pas vraiment difficile. Mais cela ne sera jamais rapide. C’est du rêve. Vous pouvez, certes, mettre en place rapidement des stratégies efficaces. Vous pouvez même réussir tout de suite quelques mémorisations qui vous paraissaient hors de portée dix minutes avant. Mais il faut ensuite vous y tenir. Sinon, vous aurez juste allumé quelques feux qui s’éteindront d’eux-mêmes.
La plupart du temps, c’est ce qu’il se passe. Et le bénéfice constaté reste très ponctuel. Vincent Delourmel a fait autrement. Il n’avait probablement pas une mémoire exceptionnelle. Mais cela fait une vingtaine d’années qu’il la fait travailler avec constance. Elle est devenue exceptionnelle.
Mais est-ce là votre but ? Voulez-vous en faire un spectacle ? Hum… Si ce n’est pas le cas, avoir une excellente mémoire, ça vous suffirait peut-être, non ?
Ça, c’est possible. Pas rapidement, non, mais assez facilement. Toutefois, il faut bien comprendre auparavant comment ça fonctionne.
Pourquoi, en général, vous ne donnez pas suite, quand on vous donne les clés pour mieux mémoriser ?
Vous pouvez trouver assez facilement des livres, des sites internet qui vous proposent des exercices pour améliorer votre mémoire. Vous les ferez peut-être un peu au début. Par curiosité, ou par jeu. Vous obtiendrez quelques résultats. Et puis vous laisserez tomber et vous passerez finalement à autre chose.
Au début, je trouvais que les gens manquaient vraiment de persévérance. Aujourd’hui, je les comprends mieux. Le manque de constance, les abandons, tout cela vient probablement d’une compréhension limitée du fonctionnement de la mémoire. Les vendeurs de méthodes n’insistent pas assez sur la nécessité d’avoir une motivation à long terme.
En fait, il faut pratiquement se former à améliorer sa mémoire. Sinon, on la « bricole » comme quelqu’un voudrait régler et préparer un moteur pour la compétition sans connaître le fonctionnement du dit moteur…
Cette « formation » doit se faire sur deux axes : la connaissance et la motivation. La connaissance, parce que si vous voulez régler au petit poil votre moteur mnésique, vous devez connaître son fonctionnement. La motivation, parce que sans elle, vous n’irez pas au bout des choses.
Pour ce premier article sur JeRetiens, je m’en tiendrai à la connaissance. La mémoire est un sujet extrêmement touffu. La quantité d’informations est tellement importante qu’on peut vite s’y perdre. J’y pensais, l’an dernier, en préparant une conférence pour le Congrès de la Mémoire.
En général, on ne peut pas espérer faire mémoriser grand-chose en une heure de conférence. Vous pouvez être bien compris sur le moment, mais le lendemain il n’en restera que 5 %. Je me suis donc demandé comment impacter les esprits de sorte qu’il leur en reste au moins 10 % et que ce soient les 10 % les plus pertinents.
Comment comprendre votre mémoire ?
Je voulais que ces 10 % soient si peu encombrants qu’ils puissent tenir en deux lignes. Mais que ces deux lignes contiennent toute la logique du processus ! Et que ce soit facilement mémorisable. Et que cela permette de comprendre comment agissent les méthodes ou les exercices qu’on vous propose pour donner un coup de jeune à vos capacités de mémorisation.
L’année précédente, j’avais regroupé les principaux processus à l’œuvre en deux chaînes distinctes. Je les avais baptisées séquence neurologique et séquence cognitive. Déjà, j’expliquais, dans un article ou dans un autre, que les éléments de la séquence cognitive étaient capables de « booster » ceux de la séquence neurologique…
Mais ce n’était pas assez synthétique. La solution ? Un schéma. Une image qui vous explique tout. Si vous ne deviez retenir que ça, vous en sauriez déjà plus long que certains auteurs qui parlent de la mémoire sans même avoir les connaissances scientifiques requises.
Cela demande une petite explication, mais sans plus.
Partez du constat que la mémoire est le processus par lequel vous pouvez stocker quelque part une information pour la rappeler à votre conscience le jour où vous en aurez besoin.
Il en résulte que tout commence par une information, ce que vous voyez à gauche du schéma. Et que tout aboutit au rappel de cette information, à droite. Sinon, on ne verrait pas bien à quoi pourrait servir notre appareil mnésique ! Entre les deux, il se passe évidemment des choses, tant sur le plan neurologique que sur le plan cognitif. Je vais essayer de vous expliquer ça le plus simplement du monde.
La séquence neurologique
C’est la ligne du haut. Une séquence c’est une suite d’opérations qui se produisent dans un ordre déterminé. C’est bien le cas ici.
En effet, une information doit d’abord être perçue pour entrer dans la machine mnésique. Elle doit ensuite cheminer, sous forme d’un influx nerveux, c’est la transmission. Puis, il faut bien qu’elle soit stockée quelque part.
Ce stockage n’a rien d’un rangement statique. Au contraire, l’information est intégrée parmi d’autres informations de même nature, apparentées, ou avec lesquelles existent des relations sémantiques ou de contiguïté.
Ainsi, l’information « pompier » sera associée à des informations apparentées : feu, camion, échelle, citerne, tuyau, accident, voiture désincarcération, noyade, etc. Et avec les images correspondant à ces concepts.
L’intégration plonge donc l’information au cœur d’un environnement sémantique. C’est un peu comme si elle ressemblait désormais à un document pourvu de liens cliquables menant aux autres informations avec lesquelles elle entretient des rapports.
Et ce n’est pas fini. Elle est ensuite consolidée par un processus naturel nocturne. La zone cérébrale de votre hippocampe « rallume » alors tous les circuits mnésiques qui ont amené des informations à s’intégrer pendant la journée. La consolidation, c’est donc une sorte de révision systématique, mais tout en dormant !
La séquence neurologique est absolument automatique et vous n’avez aucune prise directe dessus. Mais elle est sensible à votre hygiène de vie et à l’état de vos « capteurs » (oreilles, yeux, peau…). Si, par exemple, vous êtes hypoacousique, si vous fumez des substances étranges, si vous buvez beaucoup d’alcool, si vos lunettes en sont plus adaptées, si vous respirez des solvants au travail, si vous mangez gras, etc. cette séquence sera déficiente.
Inversement, si vos capteurs sont en pleine forme et que vous avez une hygiène de vie irréprochable, cette séquence sera parfaite !
La séquence cognitive
C’est la ligne du bas.
D’abord le trio Intention, attention, concentration. C’est bien simple, il n’y a pas de concentration sans attention, et pas d’attention sans intention de mémoriser. Or, cet ensemble conditionne la qualité de la perception.
Ensuite le trio organisation, catégorisation et indices de récupération. Par exemple, vous retiendrez mieux une liste classée par catégories qu’une liste en vrac. Vous retiendrez mieux le cheminement d’une intervention orale à faire sans notes si vous avez fait un plan logique, organisé. C’est ce que fait votre cerveau la nuit en produisant, au naturel, des classements arborescents. Quant aux indices de récupération, ce sont des liens intentionnels entre l’information à retenir et une information marquante déjà bien connue. Tout cet ensemble agit fortement sur l’efficacité du stockage et la qualité de l’intégration.
Enfin, les répétitions intentionnelles viennent renforcer considérablement l’effet de la consolidation neurologique.
Contrairement à la séquence neurologique, la séquence cognitive est sous votre responsabilité directe. C’est vous qui décidez. Vous pouvez avoir envie de mémoriser quelque chose ou pas. Vous pouvez choisir de vous concentrer sur certaines informations. Vous pouvez rester brouillon ou décider d’organiser vos pensées ou vos apprentissages, utiliser des indices de rappel ou non. Relire, revoir, réviser, répéter, vous rafraîchir la mémoire ne peut être décidé que par vous.
Ce qu’il faut comprendre, c’est que la séquence neurologique, que nous allons ici supposer parfaite, n’assure qu’un service minimal pour la survie. Pour s’élever au-dessus de ce niveau, il faut la nourrir. Cela, c’est le rôle de la séquence cognitive, et mieux vous l’activez, meilleure sera l’efficacité de votre mémoire. Vous connaissez maintenant les leviers qui sont à votre disposition pour obtenir ou retrouver une excellente mémoire…
Le vrai secret d’une mémoire performante : activer votre séquence cognitive
Vous pouvez engranger des perceptions subliminales, mais votre cerveau ne saura pas à quel univers sémantique l’intégrer. Pour améliorer votre perception, il faut vouloir mémoriser. Après les études, c’est souvent moins le cas…
Vous devez alors prêter plus d’attention aux informations que vous voulez conserver en mémoire. C’est nécessaire pour que la perception soit suffisamment bonne. Sinon, le rappel ne pourra pas ramener plus à la conscience qu’il n’en est entré dans les tuyaux !
Plus haut, j’ai affirmé que l’organisation facilite la remémoration. Pourquoi ? Parce que vous évitez à votre cerveau d’avoir à analyser la logique interne de ce que vous voulez garder en tête. En cas de données en vrac, il devra les analyser. Et, si c’est complexe, son interprétation sera erronée. L’intégration ne se fera pas dans les bons univers et le rappel ne fonctionnera pas.
Les études montrent, en effet, qu’il stocke par catégories, par familles, par univers. Si vous faites ce travail en amont, vous lui facilitez le travail. De plus, les catégories, les arborescences sont des indices de récupération.
C’est-à-dire des informations mémorables reliées à celle que vous voulez mémoriser. Il existe bien d’autres indices que les catégories. Ils peuvent être sémantiques, spatiaux, de contiguïté linguistique ou autre. Ainsi, je sais que Victor Hugo est mort en 1885 parce que je sais déjà que ma grand-mère est née en 1895 et a toujours dit que c’était 10 ans après la mort de Victor… Vous pouvez aussi vous rappeler mon nom parce qu’il vous rappelle celui de votre beau-frère. Etc.
Restent les répétitions. Sous forme de relectures, révisions ou rediscutions, elles rallument les circuits neuronaux. Et à chaque répétition, ils s’allument plus longtemps. C’est un sacré renforcement du travail basique de votre hippocampe. Il n’y a pas mieux pour renforcer la consolidation.
Et maintenant, à vous de mémoriser ça !
Le schéma que je vous ai donné est un plan de récupération. On désigne ainsi un plan contenant des indices de récupération. Ainsi il ne devrait pas être trop difficile de vous rappeler que la mémorisation commence avec une information et se vérifie en bout de chaîne par le rappel. Note : à propos, rappel ou récupération, c’est la même chose.
Information et rappel ont donc désormais le statut d’indices de rappel. Vous allez certainement vous rappeler qu’il y a quelque chose au milieu. Qu’il s’agit de deux séquences. Vous voyez que ça s’emboite, que c’est organisé. Ça va donc vous servir d’indice pour retrouver qu’une séquence est neurologique et l’autre cognitive… C’est facile, c’est binaire.
C’est seulement arrivé là que commence l’apprentissage ou le rappel du contenu.
Mémoriser la séquence neurologique est aisé, car c’est une séquence absolue. Si vous oubliez un maillon, la mémoire ne marchera pas. Vous sentez que vous ne passerez pas de la perception au stockage ou de la transmission au rappel. C’est une aide formidable pour vous rappeler perception ► transmission ► stockage ► intégration ► consolidation. Avec un peu… d’attention, ça vous revient à tous les coups.
Mémoriser la séquence cognitive est un peu moins évident si d’ordinaire vous ne l’activez pas complètement. Néanmoins, la logique interne est assez facile à retenir : intention ► attention ► concentration ► organisation ► catégorisation ► indices de rappel ► répétitions.
Si vous n’avez pas l’habitude de vous en servir systématiquement, vous oublierez peut-être les indices de rappel. À noter qu’ils peuvent être ajoutés au moment des répétitions, même si c’est un peu moins efficace qu’en amont.
Et maintenant, évaluez votre profil de mémorisation !
Utilisez-vous à fond tous les 7 leviers de la séquence cognitive ? Hum…. Le petit exercice que je vous suggère maintenant va vous permettre de faire le point.
Je vous propose une sorte de test. Regardez bien ce tableau. Il reprend les 7 points de la séquence cognitive : intention, attention, concentration, organisation, catégorisation, indices de récupération et répétitions.
Intention | Attention | Concentration | Organisation |
Catégorisation | Indices de récupérations | Répétitions | NOTE finale |
Dans chaque case, donnez-vous une note de 1 à 10. Vous n’avez jamais particulièrement l’intention de mémoriser les informations qui vous parviennent ? Notez 1 (personne ne mérite 0…). Vous l’avez en permanence du matin au soir ? Notez 10 (hum… je me demande si même un mnémoniste professionnel se noterait 10…). Entre les deux, sur une échelle de 1 à 10 tâchez d’évaluer votre niveau d’intention.
Faites la même chose pour les 6 points suivants. Enfin, additionnez le tout dans la dernière case. Si tout était parfait, vous auriez 70 points.
La première fois que j’ai inauguré ce « test », il y a une trentaine d’années, je n’avais obtenu que 38 points. À peine la moyenne, et j’étais pourtant encore jeune. Mais je n’étais déjà plus étudiant et mon intention de mémoriser en avait déjà pris un coup. J’ai pas mal vieilli depuis, et pourtant mon évaluation est maintenant bien meilleure ! Bon, d’accord, ça ne s’est pas fait tout seul. Je me suis entraîné ! Ça devrait vous encourager…
Un exemple à ne pas suivre
Regardons maintenant un résultat tel que celui-ci :
Intention (2) | Attention (5) | Concentration (2) | Organisation (6) |
Catégorisation (3) | Indices de récupérations (3) | Répétitions (9) | NOTE finale (30) |
Il s’agit d’une étudiante plutôt dilettante, qui ne se soucie pas vraiment de mémoriser, qui estime avoir une attention moyenne et très peu de facultés de concentration. Néanmoins, elle organise plutôt sa matière, mais sans faire de catégories ni se soucier de placer des indices de récupération. En revanche, c’est une championne des répétitions…
Ce portrait n’est pas vraiment anecdotique. Il est même justement assez fréquent chez les élèves et les étudiants. Et il peut se poursuivre dans la vie ensuite. C’est un tableau typique de quelqu’un qui ne sait pas comment fonctionne sa mémoire. Je dirais même, qui la maltraite.
Avec une aussi faible intention, elle ne met pas en rayon des données très utilisables. Sans doute les études ne l’intéressent-elles pas. Elle est quand même de bonne volonté. Son attention moyenne et son organisation (souvent disparate, avec des fiches, des résumés, des « antisèches »…) compensent sans doute un peu. Le manque d’indices de récupération, en revanche, est flagrant alors que les cours devraient en fournir ou bien l’on devrait s’en inventer.
Et surtout, cerise sur le gâteau, quelle énergie dépensée pour pas grand-chose dans les répétitions ! De quoi s’épuiser à répéter, à réviser, à faire et refaire sans résultat vraiment probant.
Et vous, quel est votre score ?
Pour en savoir plus c’est ici ou plus précisément sur l’attention et la concentration c’est par là.
C’est sur ce blog que j’avais commencé à expliquer les deux séquences. Mais, à l’époque, je les mélangeais un peu… Ce que vous venez de lire est beaucoup plu clair. En revanche, vous en aurez plus sur l’attention et la concentration.
- Comprendre votre mémoire pour l’améliorer - 4 juillet 2019
test
Ton test fonctionne ;)
Salut Sam, je n’avais pas vu ton commentaire à l’époque. Evidemment que mon test fonctionne ! Quand je met au point un test, je le teste avant de le « sortir » ! Cela dit c’est une forme de test dite auto-évaluative et la qualité du résultat dépend de la justesse de l’objectivité de l’auto-testé…
Salut André, ça fait un bail !
Mon commentaire était une réponse à kiki, pas à ton article ;-)
Ah oui ça fait un bail en effet… que veux tu, je suis très occupé
Et je en devais pas avoir les yeux en face des trous comme on
disait dans mon enfance pour n’avoir pas vu que ça ne me concernait
pas, sans doute un effet de mon grand âge, ;-) désolé pour l’impair