Littéralement, cet adverbe mal employé

Littéralement est un adverbe dont l’emploi travesti s’est insinué dans la langue française parlée de manière insidieuse et trompeuse !

Son emploi est aussi mauvais celui de literally (littéralement) dont l’épidémie a frappé la langue anglaise il y a plus de dix ans.
Il était certain que cette même épidémie frapperait la langue française tôt ou tard à cause des traductions littérales des termes anglais et de leur mauvais usage, à l’instar de bien balancé (pour « well balanced »), ça fait sens (pour « makes sense »), ou encore des termes qui commencent à être malheureusement admis comme prends soin de toi (pour « take care »).

Comprenons le vrai sens du terme littéralement à travers sa définition, son étymologie, et des points de comparaisons et tâchons de saisir quel terme utiliser de manière pertinente pour ne plus commettre une erreur aussi grossière.

Littéralement est être conforme à la lettre

Étymologiquement parlant, littéralement est issu du latin litteralis composé de littera (lettre) et de –alis (relatif à, qui dépend de, qui marque son appartenance à).
Litteralis forme le mot littéral auquel est adjoint le suffixe -ment pour former l’adverbe littéralement.

La définition de littéral est qui est conforme à la lettre, qui prend le texte mot à mot.

La définition de littéralement est d’une façon littérale, soit à la lettre, dans le plein sens du mot.

Exemples et contre-exemples

  • Le sens littéral de la locution latine de facto est de fait.
    Cet exemple est correct car le terme littéral indique la conformité au mot.
  • Pierre est littéralement tombé dans l’escalier.
    Cet exemple est correct car Pierre tombe dans l’escalier, il est donc tombé à la lettre.
  • Julie a fait une bonne affaire, elle s’exclame j’ai littéralement dévalisé la banque !
    Cet exemple est incorrect. Si Julie avait littéralement dévalisé une banque, elle aurait fait un braquage !
  • Hier j’étais malade, j’étais littéralement mort.
    Cet exemple est incorrect. Si j’étais littéralement mort, je serais bien incapable de rédiger ces lignes !

Sens propre ou sens figuré

Le mauvais usage de littéralement est lié à la difficulté des locuteurs de comprendre la différence entre le sens propre et le sens figuré des choses.

Le sens propre d’un mot est le sens premier de ce mot tandis que le sens figuré d’un mot est le sens qui en dérive.
Autrement dit, le sens propre renvoie à quelque chose de concret. Par exemple, le mot porc évoque un animal, c’est son sens propre. Or, porc peut aussi évoquer une personne qui se comporte ou qui mange de manière grossière, c’est son sens figuré.

Pour simplifier, le sens propre est ce qui est réel et le sens figuré sont les expressions qui dérivent du mot.

Reprenons l’exemple de Pierre qui tombe dans l’escalier.

  • Pierre tombe dans l’escalier: c’est le sens propre du verbe tomber, on peut donc dire qu’il tombe littéralement dans l’escalier ou qu’il tombe au sens propre dans l’escalier.
  • Pierre tombe sur ses amis en allant à la librairie: c’est le sens figuré du verbe tomber (il n’effectue pas une chute sur ses amis, en principe !), on ne peut donc pas dire qu’il tombe littéralement sur ses amis mais on peut dire qu’il tombe au sens figuré sur ses amis.

Moyen mnémotechnique

Mnémotechniquement parlant, pour éviter la confusion et le mauvais emploi de l’adverbe littéralement, il suffit de voir si dans la phrase littéralement peut être remplacé par « au sens propre », si oui: pas d’erreur ! Si non, remplacez littéralement par « au sens figuré » ou abstenez-vous !

  • Je te couvre !
    « Je te couvre » est employé au sens figuré pour signifier à quelqu’un que l’on couvre ses arrières, que nous sommes là en soutien.
  • Je te couvre littéralement !
    « Je te couvre littéralement » ne peut être employé au sens propre si il s’agit d’employer cette expression dans le cadre du soutien. Couvrir littéralement impliquerait de couvrir la personne avec une couverture par exemple.
Sam Zylberberg
Les derniers articles par Sam Zylberberg (tout voir)

3 réflexions au sujet de “Littéralement, cet adverbe mal employé”

  1. Bonjour Sam,

    Je cherchais depuis quelques temps cette petite leçon, que j’aurais voulu pouvoir servir à chaque fois que j’entends ce mauvais emploi de « littéralement ». C’est tellement vrai et insupportable lorsqu’on écoute les journalistes. Le temps d’écrire ce paragraphe je l’ai entendu deux fois :

    « Ils ont littéralement mis le feu à la scène. »
    « Le standard a littéralement explosé. »

    Mais pour faire plus court, je cherchais aussi l’adverbe qu’ils devraient utiliser lorsqu’il veulent absolument faire passer leur métaphore (vendre leur soupe) comme si ce mot voulait dire : « Vous comprenez, ce n’est pas ce qui est réellement arrivé, mais la situation était tellement incroyable qu’on avait l’impression que ça aurait été la même chose ». Et aussi peut-être pour les aider car on dirait qu’il n’osent pas employer simplement la métaphore, comme s’ils avaient peur qu’on leur reproche : « Mais vous êtes fou, vous avez dit que le standard avait explosé ! » alors que justement ils essayaient de dire qu’il n’a pas littéralement explosé.

    Et je n’arrive pas à trouver ce mot qui leur conviendrait. Quel adverbe permettrait de rendre leurs phrase justes. « illittéralement » n’existe pas, « métaphoriquement » ou « allégoriquement » ne passeraient pas. Avant, on disait « comme » tout simplement, mais bien que ce soit très proche et simple dans l’idée, il est probable qu’on trouve ça vieillot et pas joli. Peut-être que « virtuellement » leur plairait à ces idiots…

    Qu’en penses-tu ?

    Répondre
    • Bonjour Gilles,

      Tu poses une excellente question ! Et… il est assez complexe d’y répondre. A premier abord, je dirais que l’adverbe en général est un mot qui alourdit la phrase, et pour citer ce cher Stephen King « la route vers l’enfer est pavée d’adverbes ».
      M’en tenir à ça est une dérobade… comment remplacer littéralement dans une phrase ? Les termes métaphoriquement, allégoriquement, me semblent pertinents mais comme tu le soulignes, cela ne passerait pas et ça couperait le souffle du locuteur.

      Virtuellement me semble intéressant mais serait probablement incompris…

      Que reste-t-il ? Absolument ou totalement, dans certaines circonstances, ou « tout simplement » (avec une note de second degré), ou encore la locution « tout bonnement » (un peu vieillotte aussi).

      Je pense aussi à l’adverbe « symboliquement », mais à nouveau, dans certains contextes. Ou alors, figurativement, fictivement.

      Je crois que le problème est plus profond qu’un simple remplacement du mot littéralement. Ce serait plus simple de dire « de manière imagée » que de trouver un adverbe exact. Il faut aussi considérer le fait sociologique que cette nouvelle manière de s’exprimer entre dans un corpus « novlangue » dont il est compliqué de se défaire tant il se répand et semble à la fois réguler l’offre et la demande du phrasé de ce premier quart de vingt-et-unième siècle.

      Les adverbes sont majoritairement les problèmes des anglophones (qui les utilisent à toutes les sauces, à l’oral et à l’écrit), et l’importation littérale de ces expressions, sans aucun recul ni assimilation linguistique, pose problème : littéralement, juste, iconique… des mots qui existent en français mais dont le mésemploi est un comble !

      Répondre
      • Super. J’avais tout ceci en tête également en t’écrivant mais tu en fais une excellente synthèse.
        Il y a effectivement un profond problème d’époque. J’essaierai de continuer à lutter en diffusant le plus possible ces réflexions. J’ai encore de l’espoir car j’entends avec bonheur certains s’exprimer encore de manière totalement différente et beaucoup plus belle (Geneviève Fraisse chez Augustin Trapenard à l’instant).

        Répondre

Laisser un commentaire