Idiot, imbécile, crétin, débile… d’où viennent ces qualificatifs et quelle en est la gradation ?

Aujourd’hui, les termes d’idiot, de crétin, d’abruti ou encore de débile ou de dégénéré sont utilisés comme synonymes d’insultes dans le langage commun. Il s’agit d’attaquer les capacités intellectuelles d’autrui mais dépassons la bassesse de l’insulte pour nous intéresser à l’origine de ces mots. Ces termes ont été forgés par la médecine au XIXème siècle pour désigner des anormalités dans les domaines du développement intellectuel et ont évolué en fonction des époques, au même titre que les outils d’évaluation, de diagnostic et de classification. En 200 ans, se sont donc succédé les étiquettes de demeuré, d’arriéré, d’idiot, ensuite de débile puis aujourd’hui déficient mental. Chaque notion étant nuancée: léger, moyen ou profond.

D’où vient le crétin ?

A l’origine, ce sont les médecins-pédagogues du XIXème qui s’intéressent au crétinisme des enfants, cherchant à distinguer les nuances entre les enfants demeurés et arriérés pour leur donner des cours adéquats (généralement, des formations pour être ouvriers agricoles à l’époque).

Qu'est-ce qu'un goitreux ?
Henry Koplik, 1910, représentation d’une goitreuse (étude sur les enfants).

Le goitreux du Valais et le crétin des Alpes sont des termes employés pour désigner les populations isolées qui vivaient dans les vallées dans les Alpes qui étaient, de par leur endémie, plus souvent atteintes de troubles mentaux et physiques que les populations soumises au brassage génétique. Goitreux fait référence aux carences en iode de certaines populations qui n’avaient pas accès au sel marin (et mangeaient le sel des mines de sel) et développaient des déformations de la gorge appelées le goitre.

En 1840, le crétin est identifié et médecins-pédagogues pensent qu’il peut être soigné et éduqué, de nombreuses études en Europe (France, Suisse notamment), dénombrent les crétins. On peut ainsi lire en 1854 que:

La France compte 370.000 goitreux dont 120.000 crétins.

Il convient dès lors de parvenir à définir médicalement le crétin, selon les standards de l’époque. Une distinction est établie entre crétin complet et crétin incomplet.

Le crétin complet désigne un être en dessous de la brute qui est stupide, ce qui signifie plongé dans un état de stupeur où toute activité humaine est arrêtée. Le crétin complet est aussi appelé l’idiot.
Le crétin incomplet désigne un individu qui est diminué de ses dispositions mais qui reste humain. Le crétin incomplet est aussi appelé l’imbécile.

Dans la première moitié du XIXème siècle, il n’existe pas d’échelle ou d’outil spécifique pour établir la distinction si ce n’est la capacité (ou l’incapacité) de l’individu à suivre une consigne ou à apprendre le catéchisme (l’enseignement de la religion chrétienne).

Si l’on résume, la distinction entre les types de crétins provient essentiellement des fonctions dites humaines qui se manifestent ou non chez les individus. Cette distinction, entre l’être stupide (coupé de toute humanité) et l’être diminué, clarifie les termes d’idiot et d’imbécile.

Appellation Critères
Crétin complet ou idiot Stupide (toute activité humaine arrêtée)
Crétin incomplet ou imbécile Diminué mais humain

Comment mesurer l’intelligence ?

En 1905, Alfred Binet et Théodore Simon mettent au point la première échelle métrique permettant de mesurer l’intelligence. Le test de Binet-Simon détermine l’âge mental de l’enfant, soit le groupe d’âge qui a réussi les mêmes tests que le participant. Par exemple, un enfant de 5 ans qui réussit les mêmes épreuves que la moyenne des enfants de 8 ans a 8 ans d’âge mental. L’objectif du test de Binet-Simon est de détecter en avance les enfants qui sont / seront faibles à l’école.

Test du carré pour un enfant de 5 ans Binet et Simon
Le test du carré de Binet et Simon, ils écrivent : « C’est la première fois que nous mettons un porte-plume dans la main de l’enfant. On dessine à l’encre un carré, avec, pour chaque côté, une longueur de 3 à 4 centimètres ; et on invite le sujet à le reproduire, en se servant d’un porte-plume. L’emploi du porte-plume augmente la difficulté de la copie; et on n’a pas le droit de le remplacer par un crayon. Les sujets jeunes rapetissent les figures : peu importe, si on peut les reconnaître. Nous donnons quelques spécimens de reproduction que nous considérons comme tolérables (1, 2, 3) et d’autres reproductions qui nous paraissent si défectueuses qu’elles constituent un insuccès (4, 5, 6). »
Alfred Binet et Théodore Simon, « Le développement de l’intelligence chez les enfants », L’Année psychologique, vol. 14,‎ 1908.

La notion de quotient intellectuel est développée par le psychologue allemand William Stern en 1912, qui compare l’âge réel de l’enfant à son âge mental. La formule est la suivante : QI = (âge mental / âge chronologique) x 100. En reprenant notre exemple, un enfant de 5 ans qui obtient un âge mental de 8 ans a le QI suivant : (8/5) x100 donc un QI de 160.

Les déficiences intellectuelles sont ensuite mesurées au cours du XXème siècle suite à l’examen du quotient intellectuel. Dans le registre des déficiences de l’intelligence, soit les perturbations ou détériorations des fonctions cognitives associées à des troubles de la mémoire, de la pensée ou de l’attention, il existe quatre niveaux:

  • QI inférieur à 20 : retard mental profond (ou débilité profonde). Apprentissage possible de la mastication et de l’usage des membres supérieurs et inférieurs.
  • QI entre 20 et 34 : retard mental sévère. Apprentissage possible et systématique des gestes simples.
  • QI entre 35 et 49 : retard mental moyen (ou débilité moyenne). Apprentissage des notions simples de communication, de la sécurité et de l’hygiène élémentaire. N’est pas capable d’accéder à la lecture ou à l’arithmétique.
  • QI entre 50 et 70 : retard mental léger (ou débilité légère). Apprentissage de la lecture et de notions d’arithmétique. Insertion sociale possible.

Les tests et les classifications en fonction du QI évoluent fortement au cours du XXème siècle, il y en a eu plus de 20.

C’est en 1928 que sur base du QI une distinction est opérée entre idiot, imbécile et crétin, ce dernier devenant un qualificatif à part entière, d’intelligence supérieure à l’idiot et à l’imbécile qui, rappelons-le, étaient respectivement synonymes de crétin complet et de crétin incomplet au XIXème siècle.

QI Appellation
Entre 0 et 24 Idiot
Entre 25 et 49 Imbécile
Entre 50 et 74 Crétin

Conclusion

Il existe une gradation en fonction des capacités intellectuelles (ou de leur absence) entre les termes idiot, imbécile, et crétin. Ces termes font indistinctement partie du langage familier ou populaire.
La psychologie et la manière de penser et d’utiliser la langue ont évolué, et à ces termes ont été préférés celui de débile, avec respectivement débile léger (crétin), débile moyen (imbécile), et débile profond (idiot) pour aujourd’hui utiliser le plus consensuel terme de déficient mental. Respectivement déficient mental léger (crétin), déficient mental moyen (imbécile), déficient mental lourd (idiot).

Sam Zylberberg

12 réflexions au sujet de “Idiot, imbécile, crétin, débile… d’où viennent ces qualificatifs et quelle en est la gradation ?”

  1. N’y a t-il pas une inversion dans la dernière phrase concernant idiot et crétin (« Respectivement déficient mental léger (idiot), déficient mental moyen (imbécile), déficient mental lourd (crétin) ») ?.

    Je comprends en effet que le déficient mental léger s’apparente au cretin, non ?

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      • L’expression crétin des Alpes peut être associé à au moins deux facteur celui de la consanguinité qui a été évoqué mais aussi à une carence en iode due à la consommation de sel gemme et non de sel marin c’est le cas aussi en Himalaya où les populations consomment aussi du sel gemme en fait dans les régions qui sont éloignées de la mer et n’ont que peu accès au sel marin, ce dernier contient de l’iode il suffit de très petites quantités d’iode: un programme de santé de l’OMS est parvenu a limiter les cas de défficiences intellectuelles d’une manière spectaculaire en mettant de petites pastilles d’iond ans les puits des régions concernées 50 milligrammes qui se dissolvent dans chaque puits et cela pour une longue durée à chaque fois c’est pourcela que les recommandations alimentaires suggèrent la consommation de sel iodé les sels de mer en contiennent naturellement en quantité suffisantes alors que les sels gemmes n’en contiennent pas une carence en iode peut aussi entrainer l’apparition d’un goitre depuis les recommandation envers le sel iodé on voit de moins en moins de paeronns porteuses de goitre.

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    • Bonjour,
      j’aurais aimé savoir quelle était la base étymologique pour l’usage des termes idiot, imbécile et crétin et s’il y a une tradition interne à la médecine transmise depuis des siècles (moyen âge, antiquité etc.) dans la sémantique et/ou la morphologie du lexique.
      Merci.

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      • Bonjour Modeste,
        Le mot idiot vient du latin : idiota, qui signifie inexpérimenté/sot/inhabile. Idiota est lui même issu du grec ἰδιώτης (idiốtês) qui désignait un homme sot, sans éducation, incapable de participer à la vie politique).
        Le terme imbécile vient du latin imbecillus, qui signifie faible. En français, imbécile s’écrivait avec deux « l », imbecille donc, jusqu’à son changement d’orthographe en 1788 car, pour l’anecdote, un académicien n’aimait pas sa prononciation.
        Le terme crétin a une étymologie complexe : ce mot est aggloméré de plusieurs origines, tout d’abord du mot latin christianus, employé péjorativement pour désigner les chrétiens considérés comme innocents; ensuite de l’Allemand kreide, qui signifie craie, pour désigner l’aspect blanchâtre de la peau des crétins; enfin de crêt-in, en référence aux habitants des Alpes (cf. goitreux dans l’article).

        Au plaisir,

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  2. Bonjour Sam,
    merci pour cet article qui replace historiquement les termes (pour lesquels nous avons probablement tous, dans le langage commun, notre propre hiérachie). Mais merci encore plus pour votre réponse au commentaire de Jean-Francois qui m’a fait sourire d’une oreille à l’autre et m’a donné l’occasion de me replonger dans l’accord du participe passé des verbes pronominaux!

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    • Bonjour Jean-François,

      Merci pour votre commentaire dont le ton péremptoire me plaît beaucoup.

      En effet, diagnostic prend un c, j’ai corrigé la coquille. Je vous remercie de votre diligence.

      Pour le reste, vous serez ravi d’apprendre que succéder ne s’accorde jamais au participe passé et je vous laisse cliquer sur le lien du mot endémie pour en découvrir le sens.

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      • Bonjour,

        – pour les étiquettes, je vérifierai quand je serai guéri de mon aboulie. En effet, le sens de la phrase avant tout détermine l’accord (ou l’absence d’accord). Ici, s’agissant d’une échelle qualificative, plusieurs étiquettes ont succédé aux étiquettes précédentes. Mais c’est la totalité du Bescherelle et/ou du Bled [pour plus de sûreté] que je dois revoir, ce qui m’impose une cure de sommeil préalable durant 15 jours, d’où la procrastination. Au fait, l’aboulie est un mécanisme de protection contre la paranoïa. Je vous remercie donc pour votre site qui devient pour moi l’occasion d’une fructueuse introspection. Mon psy s’en réjouira aussi.
        – Pour accepter tout à fait votre emploi du mot « endémie », il faudrait aussi considérer que vous désignez par « brassage génétique » l’arrivée d’individus sains extérieurs à la communauté, ou le départ d’individus malades, ce qui ferait statistiquement baisser la prévalence dans la communauté victime de l’endémie. Le problème vient donc de la fin de votre phrase, puisque rien n’indique dans votre article que cette réduction de l’intelligence se transmette héréditairement.

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    • Succédé est correct. On succède à quelqu’un ou à quelque chose. On ne succède pas quelqu’un ou quelque chose. C’est un verbe intransitif et il n’y a donc pas d’accord. De la même manière, on écrit elles se sont parlé et non elles se sont parlées. On parle à quelqu’un. C’est un COI et non un COD.

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