Au fil des décennies, l’étude de la guerre et celle de la paix se sont progressivement constituées en deux courants parallèles, parfois considérés comme antagonistes : d’une part, la polémologie, tournée vers l’analyse rigoureuse de la logique guerrière et de ses dynamiques ; de l’autre, l’irénologie, préoccupée par la manière de résoudre et de prévenir les conflits. Pourtant, si la première a longtemps mis l’accent sur les facteurs démographiques, sociologiques et stratégiques favorisant l’éruption de la violence, la seconde est née d’un engagement moral et politique visant à identifier les voies d’une coexistence pacifique et d’une “paix positive”. Cet apparent contraste s’explique autant par les origines historiques des deux disciplines que par leurs buts déclarés : la polémologie s’efforce de comprendre la guerre “telle qu’elle est”, tandis que l’irénologie ambitionne de repenser la société afin de dépasser la spirale destructrice.
Les conflits du XXème siècle, marqués par deux guerres mondiales et la menace nucléaire de la guerre froide, ont encouragé les réflexions sur la nature de la guerre et sur les formes possibles de paix. Gaston Bouthoul, en forgeant le terme “polémologie”, souhaitait décrire froidement le phénomène guerrier, allant jusqu’à évoquer l’hypothèse de lois récurrentes ou de cycles démographiques expliquant les affrontements. Dans le même temps, des personnalités comme Johan Galtung lançaient les peace studies, qu’on associe souvent à la naissance de l’irénologie, pour souligner la nécessité d’une transformation des structures économiques, politiques et culturelles génératrices de violence. Ainsi, de la France à la Norvège, de l’analyse démographique de la guerre à l’aspiration kantienne d’une paix perpétuelle, deux courants distincts virent le jour, alimentant chacun un pan de la recherche académique et des politiques publiques.
Néanmoins, face à la complexification des conflits contemporains — terrorismes transnationaux, menaces cyber, crises climatiques, montée des populismes — la différence entre les deux approches apparaît moins radicale qu’il n’y paraît. D’un côté, la polémologie fournit de précieux outils pour saisir la dynamique interne d’un conflit, évaluer le rapport de force, l’évolution des armements et la stratégie de chaque camp ; de l’autre, l’irénologie, par son insistance sur la mediation, la diplomatie préventive, la justice transitionnelle et la participation citoyenne, apporte des moyens concrets pour enrayer la violence et bâtir une paix soutenable. Cette complémentarité se retrouve dans de nombreux programmes de peace and conflict studies, où l’on étudie aussi bien l’histoire militaire et la cartographie des guerres que les mécanismes de résolution pacifique et de reconstruction sociale.
Ainsi, ce corpus entend montrer que polémologie et irénologie, loin de s’opposer dogmatiquement, forment deux visages d’une réflexion globale sur la conflictualité humaine. On ne peut élaborer de plans de paix pertinents sans connaître les logiques de la guerre, et on ne saurait analyser la guerre en ignorant la possibilité de la prévenir ou d’y mettre fin. Du diagnostic “froid” des causes guerrières à l’ambition “chaude” de la paix positive, un dialogue permanent se construit, offrant une vision plus profonde de la violence et de ses antidotes.
Introduction
Dans les sciences sociales appliquées à la guerre et à la paix, deux approches retiennent particulièrement l’attention : la polémologie, dédiée à l’analyse systématique de la guerre, et l’irénologie, centrée sur la résolution et la prévention des conflits. Le terme « polémologie », forgé par Gaston Bouthoul après la Seconde Guerre mondiale, désigne la “science de la guerre”. Il sous-entend une étude rigoureuse, démographique et sociologique des conflits armés, de leurs causes et de leurs impacts. L’irénologie, quant à elle, s’est imposée dans la seconde moitié du XXème siècle comme “science de la paix” : plutôt que de se limiter à observer la logique de la violence, elle cherche à comprendre les moyens de la juguler et à construire des sociétés stables et justes.
À première vue, ces deux démarches pourraient sembler opposées : l’une se focalise sur la guerre, l’autre sur la paix. Dans les faits, elles se complètent et se nourrissent mutuellement. Comprendre la dynamique d’un conflit, ses facteurs déclencheurs, ses structures logistiques et stratégiques, peut aider à repérer les moments où la prévention ou la médiation ont une chance de succès. Parallèlement, l’étude des initiatives de paix peut révéler, en creux, la mécanique de la guerre qu’il faut transformer ou neutraliser. Les tenants de la polémologie insistent sur le fait que la guerre est un phénomène récurrent et parfois cyclique, tandis que les partisans de l’irénologie croient en la possibilité d’une “paix positive”, dépassant le seul arrêt des combats. Ces deux postures diffèrent par leurs objectifs, mais elles partagent le souci de décrire et d’expliquer les conflits pour mieux agir.
Dans cet article, nous proposons une comparaison détaillée de la polémologie et de l’irénologie : leurs origines, leurs concepts fondateurs, leurs terrains d’étude, leurs divergences théoriques et leurs convergences pratiques. Nous verrons également qu’au fil de l’histoire, chacune a rencontré des courants intellectuels variés — sociologie, histoire, philosophie, économie, anthropologie, psychologie — et que les défis contemporains (cyberconflits, crises écologiques, montée des populismes) obligent à repenser l’articulation entre la connaissance de la guerre et la construction de la paix. L’enjeu est de montrer que, malgré des orientations différentes, ces deux disciplines peuvent se croiser en vue d’une approche globale de la violence et d’une transformation pacifique des sociétés.
Polémologie : origines et racines historiques
L’émergence de la polémologie
Lorsque Gaston Bouthoul introduit le terme « polémologie » dans les années 1940-1950, il cherche à combler un vide : si la guerre est un fait marquant de l’histoire humaine, pourquoi ne pas en faire un objet d’étude spécifique, fondé sur une démarche scientifique ? Bouthoul définit la polémologie comme la science de la guerre, s’intéressant à la fois aux causes démographiques, économiques, psychologiques et sociologiques des conflits. Son ouvrage La Guerre (1951) en est un manifeste : le phénomène guerrier y est traité comme un événement quasi “naturel”, récurrent, que l’on peut soumettre à des analyses statistiques (calcul du coût humain, fréquence des guerres, corrélations avec les crises de surpopulation ou les tensions économiques).
Le contexte de l’immédiat après-guerre, puis de la guerre froide, confère à la polémologie une dimension urgente : comprendre la mécanique des conflits devient vital pour éviter le chaos. Bouthoul et ses collègues suggèrent que la guerre obéit parfois à des lois cycliques, qu’on pourrait presque assimiler à des lois biologiques ou socio-démographiques (thèse malthusienne, par exemple, où des poussées de conflits apparaîtraient lors d’excès de population). Mais la polémologie ne se limite pas à ce déterminisme : elle se veut aussi multidisciplinaire, mobilisant l’histoire militaire (Clausewitz, Machiavel), la sociologie, la psychologie des foules (Le Bon) et la stratégie contemporaine.
Polémologie et héritages intellectuels
L’ambition de la polémologie, se voulant “science de la guerre”, puise dans plusieurs traditions. Elle s’appuie notamment sur :
- La sociologie de Durkheim ou Mauss, abordant la solidarité, la cohésion et la concurrence entre groupes.
- La philosophie politique héritée de Hobbes (l’état de nature, la violence intrinsèque à la condition humaine) ou de Clausewitz (la guerre comme continuation de la politique par d’autres moyens).
- Des réflexions géopolitiques (Ratzel, Haushofer) et la stratégie militaire, avec une forte attention portée aux puissances, aux alliances, aux frontières.
Bouthoul et les polémologues soulignent qu’on ne peut se contenter de discours moraux ou d’idéaux humanistes : la guerre est un objet empirique, fait de calculs, d’organisations logistiques, de propagandes, qu’il faut étudier “froidement”. Dans les faits, la polémologie prend souvent la forme d’une histoire des guerres, d’une sociologie quantitative (durée, intensité, localisation), voire d’une tentative de modélisation (statistiques sur la fréquence des conflits). Certains parlent de “cycles de longue durée”, d’autres s’intéressent aux facteurs psychologiques (peur, agressivité, compétitions symboliques).
Ambitions et limites
Cependant, la polémologie a été parfois perçue comme trop descriptive, voire fataliste. En mettant la guerre au centre, elle peut donner l’impression d’estimer que la violence est un invariant qu’on ne peut éliminer, seulement contrôler. Certains critiques affirment qu’elle met de côté la dimension normative : comment instaurer la paix ? D’autres estiment qu’elle aurait sous-estimé le rôle des acteurs non étatiques, des dynamiques identitaires, du droit international, en se focalisant trop sur les États et leurs armées. Néanmoins, la polémologie a joué un rôle crucial pour légitimer l’étude scientifique de la guerre et ouvrir la voie à d’autres champs (dont l’irénologie), même si ceux-ci se sont développés dans une orientation différente.
Irénologie : émergence d’une science de la paix
Naissance et contexte
Alors que la polémologie se concentrait sur la guerre, l’irénologie s’est affirmée comme l’étude de la paix. Le mot lui-même, moins usité dans le monde anglo-saxon que peace studies, renvoie à la volonté de fonder une “science de la paix” : non seulement décrire les conflits, mais aussi comprendre comment les résoudre et éviter leur répétition. Les figures centrales comme Johan Galtung, fondateur du Peace Research Institute Oslo (PRIO) dans les années 1950-1960, ont façonné une discipline tout entière consacrée à la non-violence, à la transformation des structures injustes et à la participation citoyenne.
Le contexte d’après-guerre, la crainte d’un conflit nucléaire et la montée des mouvements pacifistes ont conforté l’idée que la paix devait être davantage qu’un simple compromis de puissance. Des instituts de peace research voient le jour, tout comme des revues spécialisées (par exemple, le Journal of Peace Research). Des notions comme “violence structurelle” ou “justice transitionnelle” apparaissent. L’irénologie se construit donc sur un socle éthique : éviter la destruction massive, réduire la souffrance humaine, promouvoir une culture de la paix.
Concepts fondateurs
- Distinction entre “paix négative” (absence de guerre) et “paix positive” (justice, équité, reconnaissance des droits fondamentaux).
- Analyse de la violence selon trois dimensions : violence directe, structurelle, culturelle (Galtung).
- Importance de la justice transitionnelle (procès, commissions Vérité et Réconciliation, réparations) pour reconstruire le tissu social après un conflit.
- Logique participative : implication de la société civile, médiation locale, rôle des femmes et des jeunes, etc.
L’irénologie considère que mettre fin à la violence militaire n’est qu’une étape. Il faut traiter les inégalités, les discriminations ou les traumatismes pour instaurer une “paix positive”. Elle accorde une place cruciale aux organisations citoyennes, à la réforme des institutions, à la diplomatie préventive, etc.
Une perspective engagée
Contrairement à la polémologie, souvent présentée comme plus “neutre” ou descriptive, l’irénologie assume un parti pris : la paix est un objectif moral et politique. Son propos n’est pas seulement de comprendre, mais de transformer. Les concepts de “transformation des conflits” ou de “recherche-action” traduisent cette volonté d’agir sur le terrain, que ce soit via la médiation, la construction d’accords de paix ou l’élaboration de politiques publiques pour garantir des conditions de vie dignes et éviter la relance des hostilités.
Distinctions conceptuelles et objets d’étude
La guerre comme objet central
Pour la polémologie, la guerre est le phénomène-clé à décortiquer. On l’envisage comme un fait social quasi universel, aux multiples variables (rapport de forces, logistique, idéologies, alliances internationales). On cherche à repérer des patterns historiques, à recourir à des analyses quantitatives (durée, intensité, localisation), voire à formuler des lois qui expliqueraient pourquoi et quand une guerre éclate.
La paix positive comme horizon
Au contraire, l’irénologie part du principe qu’il ne suffit pas de stopper la guerre : la paix négative (absence de combats) doit laisser place à la paix positive (équité, droits humains, non-violence structurelle). On insiste alors sur le rôle des politiques socio-économiques, de la diplomatie, de l’éducation, de la médiation, etc. La simple dissuasion, chère aux réalistes ou à la polémologie classique, ne suffirait pas à éradiquer les causes profondes de la violence. La paix est envisagée comme un projet à part entière, mobilisant la participation de l’ensemble de la société.
Lien entre connaissance de la guerre et stratégies de paix
Au fil des recherches, des auteurs se sont aperçus que comprendre la guerre dans ses mécanismes psychologiques, démographiques ou politiques (perspective polémologique) s’avère indispensable pour mieux repérer les points de bascule où une intervention pacifique est possible. Inversement, l’irénologie, grâce à son étude des cas de sortie de conflits ou de diplomatie préventive, met en évidence des exemples concrets montrant que la dynamique guerrière peut être inversée. Les deux champs se recoupent donc dans la mise en évidence du fait que la violence est un phénomène complexe, multicausal, qui exige une analyse fine pour être désamorcé.
Divergences théoriques et méthodologiques
Orientations de recherche et finalités
La polémologie, dans sa forme initiale, entendait étudier la guerre de façon neutre, voire “froidement scientifique”. Elle reprenait parfois l’idée de la guerre comme “fait social total”, cherchant à en dresser la cartographie historique et sociologique. L’irénologie, à l’inverse, endosse une posture militante : il s’agit non seulement de comprendre, mais aussi de proposer des actions concrètes. Les tenants de l’irénologie ne dissimulent pas l’aspiration à un monde moins violent, appuyée sur des mécanismes de participation locale, d’autonomisation des femmes, de diplomatie préventive ou de réformes institutionnelles.
Différence de focale temporelle
La polémologie porte un regard souvent plus long-termiste, repérant des cycles de guerres, des constantes démographiques, des évolutions technologiques sur la durée (invention de l’arbalète, de l’arme à feu, de la bombe atomique, etc.). L’irénologie, bien qu’elle s’appuie aussi sur l’histoire, se focalise sur la gestion des crises présentes ou récentes, afin de dégager rapidement des solutions (accords de paix, commissions Vérité, médiations communautaires). Elle privilégie parfois l’“urgence de la paix”, tandis que la polémologie examine la “permanence de la guerre”.
Place des acteurs non étatiques et de la société civile
La polémologie classique, héritée d’une tradition centrée sur l’État (Weber, Clausewitz), portait son intérêt sur les forces armées, les gouvernements, les alliances internationales. L’irénologie s’est ouverte aux dynamiques locales, aux associations, aux religieuses, aux groupes de femmes, etc. Son intuition est que la paix durable ne se décrète pas uniquement “d’en haut” : elle nécessite l’appropriation par les populations. Toutefois, avec l’avènement de guerres civiles et de groupes terroristes, la polémologie contemporaine a dû intégrer à son tour l’importance des milices, des cartels, des acteurs infra-étatiques ou transnationaux, ce qui rapproche les deux disciplines sur le terrain de la pluralité d’acteurs.
Études de cas illustrant les convergences
Conflit israélo-palestinien
La polémologie y voit une suite de guerres interétatiques (1948, 1967, 1973), l’émergence de l’OLP, la militarisation de Tsahal, les alliances régionales (Syrie, Égypte, Jordanie), tandis que l’irénologie met en avant la question des droits des Palestiniens, la logique de colonisation, la nécessité de négociations (Oslo, 1993) et les initiatives de dialogue citoyen. Le conflit perdure, montrant que la paix ne peut se résumer à un alignement des rapports de force, ni la guerre être comprise sans la dimension identitaire, territoriale et symbolique.
Guerre froide et désarmement nucléaire
La polémologie éclaire la doctrine de dissuasion, la course aux missiles balistiques, le rôle des alliances (OTAN vs Pacte de Varsovie). L’irénologie, elle, se focalise sur les traités de réduction des armements (SALT, START), sur la pression des mouvements antinucléaires (ban the bomb), sur la diplomatie du désarmement. Le fait que la guerre froide se soit terminée sans conflit nucléaire majeur illustre que les logiques stratégiques (réalisme) et les pressions pacifistes (irénologie) ont fini par converger pour éviter l’escalade ultime.
Débats et critiques
Polémologie jugée fataliste ?
Certains accusent la polémologie de considérer la guerre comme une inéluctable “loi” de l’humanité. Les partisans de l’irénologie y voient une forme de résignation dangereuse, qui empêcherait de développer des actions efficaces de peacebuilding. Les polémologues répondent qu’on ne peut bâtir la paix sans lucidité, sans diagnostic rigoureux de la violence, et que la connaissance des mécanismes guerriers est un préalable à toute prévention.
Irénologie soupçonnée d’idéalisme
Inversement, les tenants du réalisme stratégique estiment que l’irénologie pêche par optimisme naïf, en sous-estimant la capacité des acteurs à tromper, à renier un accord, à exploiter la faiblesse du camp adverse. Ils soulignent que nombre de trêves échouent si l’équilibre de puissance est absent. Les irénologues rétorquent qu’il existe des processus de paix réussis (Colombie, Irlande du Nord, Afrique du Sud) démontrant que des réformes institutionnelles et une volonté politique peuvent désamorcer un conflit ancré.
Perspectives et synergies
Vers une science globale des conflits et de la paix
Au XXIème siècle, la multiplication de conflits hybrides, le risque d’armes de destruction massive (y compris bactériologiques, nucléaires ou cyber), la crise climatique et la montée de nouvelles formes d’extrémisme plaident pour une approche intégrée. Des chercheurs suggèrent de fusionner, ou au moins d’articuler étroitement, la polémologie et l’irénologie. Les premiers conserveraient leur compétence sur la compréhension des logiques guerrières (peur, intérêts géopolitiques, cycles historiques), tandis que les seconds apporteraient leur expertise sur la prévention et la médiation. Le fruit d’une telle synergie pourrait être une “science globale des conflits et de la paix”, mobilisant la démographie, l’anthropologie, la psychologie, l’économie, le droit international, la philosophie morale, etc.
Réponses aux menaces émergentes
Le cyberespace illustre particulièrement bien cette articulation : la polémologie décrit la militarisation du numérique (piratage d’infrastructures, espionnage massif, sabotage), tandis que l’irénologie milite pour l’instauration d’accords internationaux régulant la cybersécurité, le respect de la souveraineté en ligne et la création de mécanismes de résolution pacifique des cyber-incidents. De même, face à la crise climatique, l’une des branches identifie l’éventuel “multiplicateur de menaces” (raréfaction de l’eau, migrations forcées, conflits environnementaux), et l’autre cherche des solutions communes (partage des ressources, diplomatie verte, coopérations transfrontalières).
Nouvelles recherches et nouveaux acteurs
L’implication de la société civile, le rôle des femmes dans la négociation, la mise en place de research-action sur le terrain : ces évolutions témoignent de la manière dont l’irénologie s’est ouverte à la participation citoyenne. Dans le même temps, la polémologie classique, centrée sur les États, doit s’adapter aux groupes armés non étatiques, aux cartels, aux entreprises de sécurité privées. On voit ainsi émerger une hybridation des deux champs dans les programmes universitaires de peace and conflict studies, où se côtoient analyses stratégiques, études de genre, écologie politique et diplomatie préventive. Cette convergence se retrouve aussi dans les missions onusiennes, combinant maintien de la paix (force militaire) et reconstruction socio-politique.
Conclusion
La comparaison entre la polémologie et l’irénologie met en évidence deux focales différentes sur le phénomène du conflit : l’une se concentre sur la guerre, l’autre sur la paix. La polémologie, autour de Gaston Bouthoul, s’attelle à comprendre la guerre dans ses logiques démographiques, sociologiques et stratégiques, en soulignant la récurrence de la violence dans l’histoire des sociétés. L’irénologie, héritée de Johan Galtung et des peace studies, promeut la transformation des conflits et l’avènement d’une “paix positive”, en dépassant la simple absence d’hostilités pour s’attaquer aux inégalités et à l’exclusion.
Si ces deux approches ont pu paraître opposées (la “science de la guerre” vs la “science de la paix”), elles s’avèrent complémentaires pour saisir la complexité de la conflictualité : la polémologie offre un diagnostic sur les causes de la guerre et ses formes, l’irénologie propose des solutions de mediation, de réforme, de justice transitionnelle. Dans le monde contemporain, où se mêlent cyberattaques, crises environnementales, groupes armés non étatiques et montée des populismes, il devient urgent de combiner ces expertises. L’essor d’une “science globale des conflits et de la paix” implique alors de croiser les savoirs de la polémologie (analyse historique, démographique, militaire) et de l’irénologie (approche normative, transformation sociale, participation citoyenne).
Les perspectives futures laissent entrevoir davantage de collaboration : la diplomatie préventive gagne à connaître les dynamiques stratégiques ; la recherche sur le désarmement nucléaire ou la régulation du cyberespace se nourrit de l’étude détaillée des rapports de force. Inversement, la culture of peace et la participation des femmes ou des minorités, valeurs chères à l’irénologie, peuvent venir contrebalancer la logique purement sécuritaire et combler les angles morts du réalisme militaire. Ainsi, loin d’être rivales, polémologie et irénologie se rejoignent dans la volonté de comprendre la violence pour mieux agir sur elle, dans l’espoir qu’une connaissance fine des mécanismes guerriers permette d’accélérer la transition vers une humanité moins meurtrie par les affrontements et plus ancrée dans une justice sociale durable.
Pour aller plus loin, n’hésitez pas à consulter notre corpus sur la polémologie ou notre corpus sur l’irénologie.