L’Affaire Dreyfus est évènement politique et social fondamental qui secoue la France entre 1894 et 1906 (et a des répercussions ensuite), dans le cadre duquel est né le concept de révisionnisme.
Cette Affaire tourne autour d’Alfred Dreyfus (1859-1935), militaire d’origine alsacienne, de famille juive, qui est condamné pour trahison et intelligence avec l’ennemi. Son procès a fait l’objet de révisions successives, de clivages sociaux et politiques, un combat dans lequel se sont engagés la plupart des intellectuels français de l’époque. Le plus connu est Émile Zola et son « J’accuse… ! » dans le journal l’Aurore en 1898.
Contexte de l’Affaire Dreyfus
L’Affaire Dreyfus germe en France en 1894 sous la IIIème République. Les gouvernements tombent les uns après les autres et les successions de ministères sont difficiles. La France fait face à trois crises majeures (la montée croissante de l’anarchisme depuis 1888, le boulangisme en 1889 et le scandale de Panama en 1892). Une difficulté supplémentaire entoure la personne du président qui est instable : Sadi Carnot est assassiné en 1894 par un anarchiste italien, puis remplacé, son remplaçant Jean Casimir-Perier démissionne et est remplacé par Félix Faure.
Ajoutons une difficulté conjoncturelle, la France est meurtrie par les conséquences de la guerre de 1870 à l’issue de laquelle elle perd l’Alsace et la Lorraine. Le climat antisémite est général.
Origines de l’Affaire Dreyfus
En 1894, les service des renseignements généraux français reçoivent un document par l’intermédiaire de la Voix Ordinaire (nom donné aux fonctionnaires qui font les poubelles des ministères à la recherche d’éléments concernant des activités d’espionnage).
Le document retrouvé est message sur papier pelure déchiré en six et recollé. Ces six morceaux sont retrouvés dans les poubelles du ministère de l’armée. Le contenu du message est d’un intérêt médiocre. Il est manifestement envoyé à l’attaché militaire allemand. Le contenu fait allusion à un certain nombre de pièces militaires confidentielles mais très limitées. Ce n’est pas un secret d’État.
L’idée qu’il existe un traitre au sein de l’armée se met à germer.
Les soupçons se tournent directement vers le capitaine Alfred Dreyfus car il travaille dans le bon ministère, qu’il vient d’Alsace et donc que sa famille parle allemand. De plus, il est juif et d’une famille non noble, il est le pur produit de la méritocratie républicaine.. Il est le coupable idéal. Il s’agit désormais de conforter l’accusation.
Le rôle des experts dans l’incrimination
Apparaissent dans le cadre de l’enquête pour la première fois dans l’Histoire criminelle des experts.
Une étude de l’écriture est réalisée par la graphologie. A l’époque, il n’y a pas de graphologues professionnels mais un militaire affirme qu’il y a des ressemblances entre cette écriture et celle de Dreyfus.
Un second avis est demandé, est recherché quelqu’un qui possède une réelle autorité en matière d’investigation : Il s’agit de Alphonse Bertillon, père du relevé d’empreintes digitales et du bertillonnage (identification des suspects à partir de mesures anthropométriques et de photographies). Bertillon n’est pas graphologue mais une autorité crédible en matière de science judiciaire. Il analyse l’écriture, il voit des similitudes et des différences. A partir de son analyse, il en tire la conclusion que Dreyfus aurait lui-même recopié sa propre écriture en la transformant.
Le procès
C’est sur cette base que Dreyfus est jugé devant un tribunal militaire en huit clos (donc sans témoins extérieurs) ce qui a pour effet d’amplifier les rumeurs.
Les pressions abondent pour que Dreyfus avoue, ce qu’il ne fera jamais. L’idée de « se faire justice » (se suicider afin pour son honneur) lui est suggérée.
Le procès a lieu mais l’accusation peine à fournir des preuves solides. Les experts exposent leurs théories sur l’écriture, tantôt ressemblante à celle de Dreyfus, tantôt une imitation de sa propre écriture.
A ce moment du procès, le commandant Henry se présente et affirme qu’il sait de source sûre que Dreyfus est coupable. Il le jure sur sur son honneur de militaire et prend le Christ comme témoin. Cet argument renforce l’adhésion du tribunal.
Le 22 décembre 1894, Dreyfus est condamné à la déportation perpétuelle sur l’Île du Diable, en Guyane.
La naissance du révisionnisme : revoir l’Histoire et innocenter Dreyfus
La famille de Dreyfus adopte une attitude révisionniste, c’est-à-dire que son intention est de relire les preuves, les minutes du procès, etc. dans le but d’obtenir un nouveau procès.
Le colonel du contre-espionnage Georges Picquart se joint à la famille et déouvre un message télégraphique qui émane de quelqu’un qui est manifestement un traire, quelqu’un qui transmet des renseignements à l’ennemi et dont l’écriture est exactement identique au message qui a incriminé Dreyfus. Ce traite s’appelle Ferdinand Walsin Esterhazy, il travaille au contre-espionnage et a des dettes.
Avec ce nouvel éclairage et ce faisceau de preuves, encore fallait-il revoir la chose jugée. Ce que l’armée refuse. Elle mute Georges Picquart.
Dans le même temps, le commandant Henry fabrique un faux pour alourdir le dossier. Pour fabriquer ce faux, Henry prend un papier original, en découpe le début et la fin, le colle sur un papier similaire et ajoute un message au milieu.
L’opinion publique se mêle de l’affaire
L’opinion publique s’en mêle, dont les plus grands ténors de la IIIème République. Georges Clemenceau qui écrit dans le journal L’Aurore prend position. Émile Zola y publie sa lettre au président, le fameux « J’accuse… ! », qu’il termine par « J’attends. »
Comme quantité d’intellectuels de l’époque, Émile Zola prend position, il connait bien le dossier et jouit déjà d’une forte notoriété. Le tirage du journal explose. Tout le monde s’en mêle.
Un clivage s’opère entre l’armée qui maintient sa décision (antidreyfusards) et de l’autre un milieu qui demande la révision du procès (dreyfusards). Le clivage est important, des affrontements surviennent, des émeutes antisémites éclatent. Ces conflits font des victimes, des morts.
Le ministre de la justice est un militaire de droite affirmé mais souhaite clarifier les choses. Il décide de reprendre le dossier. A ce moment-là, il retombe sur le faux du commandant Henry. En le regardant, le ministre est sidéré car il se rend compte de sa fausseté, le document est grossier. Le commandant Henry avoue et se suicide.
La nécessité de revoir le procès est présente mais l’armée ne le souhaite toujours pas. La famille de Dreyfus se pourvoie en cassation à Rennes. Dreyfus est ramené en France. Il est rejugé et les magistrats estiment qu’il est coupable avec circonstances atténuantes (on ne sait toujours pas aujourd’hui pourquoi ces circonstances atténuantes lui ont été accordées).
Néanmoins, la publicité est faite sur le fait que le dossier d’accusation est vide et que le fameux dossier secret est matériellement vide également.
Le président Émile Loubet gracie Dreyfus. En 1906, il est totalement réhabilité.
En conclusion : de la critique historique au révisionnisme
Dans le cadre de l’Affaire Dreyfus, nous pouvons constater qu’avec une simple critique historique basique de documents, celle qui consiste à faire une critique externe et une critique interne, il aurait été possible de déterminer qu’une pièce majeure est un faux et qu’il n’est pas possible d’arriver à une certitude. Un procès qui aurait été fait sur des bases qui correspondent à de la critique élémentaire n’aurait pas permis une telle emballée.
Notons, du reste, le rôle important donné aux experts, des personnages extérieurs sélectionnés pour leur compétence ou supposée telle et dont les avis font loi.
L’importance a également été notable d’un point de vue émotionnel, de la presse, de la mobilisation de masse, du clivage sur des opinions qui sont véhiculés par des organes de presses.
La notion de révisionnisme émerge au sens où un procès a été revu, illustrant une chose qui supposée définitivement jugée sur base de preuves qui, en les soumettant à la critique, ont été rendues caduques et démontrées comme fausses.
Le révisionnisme aujourd’hui et le concept de négationnisme
Comme nous l’avons vu, c’est dans le cadre de la révision d’un procès qu’est apparue la notion même de révisionnisme. Il s’agit d’un concept né à partir de l’affaire Dreyfus et qui s’est amplement développé depuis les années 1900. C’est un courant de pensée qui tend à remettre en cause, ou à modifier, un système idéologique ou politique établi. A la base, le révisionnisme est une attitude de l’esprit qui ne porte pas en soi un jugement négatif ou péjoratif. Ce phénomène fait partie intégrante du travail d’un historien.
Le révisionnisme s’est appliqué à des domaines particulièrement sensibles, notamment à ceux qui touchent à la Shoah. Depuis, l’attitude révisionniste est, et à juste titre, connotée négativement.
Pour éviter cette ambiguïté et l’idée qu’il peut y a voir un jugement péjoratif sur le concept, est apparu cet autre concept celui de négationnisme. Le négationnisme est le principe de nier les
faits qui sont incontournables, se présentant toujours comme révisionniste mais dont la révision touche des choses qu’il ne faut pas remettre en question.
Ces deux concepts, de révisionnisme et de négationnisme sont extrêmement sensibles et doivent être pensé dans l’époque et en relation avec le monde, l’évolution des mentalités, la circulation de l’information, etc.
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