La mort: définitions et perspectives historique, anthropologique, sociologique et contemporaine
Difficile d’avoir des projets à très long terme car il y a toujours la limite de la mort à l’horizon qu’il s’agisse de la mort sociale (autrement dit la retraite) ou de la mort biologique.
La mort est l’horizon de toute vie quotidienne. Mais malgré tout notre horizon est au-delà de la mort. Le projet de l’Homme s’inscrit au-delà de sa finitude: il est possible de se projeter dans ses enfants, dans la collectivité, dans sa profession, etc.
L’idée que « l’homme est un être fait pour la mort » comme l’écrit Heidegger est liée au paradoxe que si nous ne mourrions pas, nous nous laisserions aller et n’aurions pas de projets. Nous rêvons d’immortalité, mais nous ne la supporterions pas matériellement.
Le paradoxe est donc le suivant : l’idée de la mort est insupportable mais l’immortalité est impossible !
La mort supporte également la distinction sacré–profane, car si quiconque profane risque d’être condamné à (la) mort.
Dans notre société du risque, la mort est omniprésente.
Dans notre vision occidentale de la mort, il y a un mélange de conceptions anciennes et nouvelles. Nous vivons dans une société sécularisée où des événements non religieux sont fétichisés (football, princesses, …) : la mort y est perçue dans sa matérialité (c’est la fin de la vie). Notre société a la conscience d’une finitude personnelle et d’une relative infinitude de l’espèce.
La vision anthropologique de la mort
L’immortalité
Anthropologiquement parlant, l’immortalité constitue une croyance généralisée. Après la mort, quelque chose continue.
Cette immortalité n’est pas physique, elle prend d’autres formes: l’âme, l’incarnation, l’idée d’un double (dans une statue ou un signe) parmi nous, la mort en rêve, etc.
Cette idée d’un double après la mort se retrouve dans des petits rituels existants dans la société occidentale comme ouvrir la fenêtre pour que l’âme sorte ou couvrir les miroirs.
Traiter les cadavres
Le traitement du cadavre est toujours effectué d’une certaine manière.
Nier l’humanité de l’homme, c’est ne pas traiter son cadavre (par exemple lors de massacres, de charniers ou encore de génocides). Un cadavre non traité renvoie à l’idée que l’homme ne peut pas mourir en tant que homme.
De nombreux rites funéraires existent.
Dans l’Islam le corps du mort est lavé; dans le Christianisme le défunt est habillé et enterré; la crémation est également un moyen de traiter les cadavres pratiquée par de nombreux peuples à travers les âges et très populaire dans les sociétés occidentales.
L’archéologie a montré qu’ont été retrouvé dans des couches de sédiments anciens des cadavres dans des positions particulières (fœtale) ou entourés d’objets ou d’animaux (parures, armes, chevaux) voire de nourriture (Égyptiens, par exemple).
L’existence de monuments pour commémorer les morts est une forme de glorification. Pensons aux tombeaux, dolmens, stèles, mausolées, etc.
Le discours sur la mort (thanatologie)
La thanatologie a été développée principalement à partir des années 70 lors de la crise économique. Elle est donc récent, et a pris toute une série de dimensions, notamment anthropologique et sociologique.
Le discours sur la mort porte sur quatre éléments:
- C’est un phénomène méta-empirique : c’est-à-dire qu’il n’arrive qu’aux autres. En effet quand on meurt on ne peut plus en parler. L’idée de la mort reste un phénomène vague.
- La mort est composée d’étapes déterminées selon les différents passages de la vie. Mourir suite à une maladie, un accident, ou « dans son sommeil », sont des étapes relatives aux différents passages.
- La mort rétablit une certaine égalité, car elle supprime l’aliénation. Tous égaux en tant que morts, mais pas tous égaux devant la mort: certains reçoivent des soins, d’autres sont assassinés.
Il n’y a pas d’égalité après la mort non plus: la mémoire de certains demeure, d’autres en revanche disparaissent avec le temps. - Il existe des rituels de conjuration, c’est tout ce qui est mis en pratique pour se concilier le double. Il y a un refus individuel de la mort, mais une certaine acceptation collective (martyrs). La vie prime sur la mort malgré le suicide chez les jeunes et chez les plus vieux.
Vision historique de la mort
La mort a une histoire, en tant qu’événement social, mais aussi biologique, car elle évolue. Cette histoire est relatée en tant qu’événement biologique et social par de nombreux auteurs comme Philippe Ariès.
Selon Ariès, il s’agit de comprendre comment la mort est-elle perçue dans le pays d’oil chrétien. Il distingue différentes évolutions historiques assorties de tendances.
- Tout d’abord, la tendance générale consiste en la condition de tout mortel pour avoir une bonne mort : être en ordre avec le Créateur et être enterré en terre chrétienne (si possible dans l’église même). Certaines catégories de gens n’ont pas droit à la sépulture chrétienne (hérétiques, prostitués, comédiens, les suicidés).
L’Église prêche la résignation (la vie sur terre ne vaut rien). - Aux XVème et XVIème siècles la période consacrée est celle de la frayeur face à la mort (danses macabres). Un changement de mentalité s’opère, petit à petit s’installe un mode de vie urbain où se développe un confort matériel, une égalité face à la mort. Ceux qui meurent dans leur lit le font devant un public, entourés de leur famille (enfants), du prêtre et du notaire.
- Se distingue également une exaltation du mort (et non pas de la mort) : le mort est mis en scène (tombeaux).
- Au XVIIIème siècle, le caractère public de l’agonie (et de la mort) s’estompe. Une certaine privatisation de la mort se met en place: seuls quelques intimes assistent le mourant. Cette attitude face à la mort subsiste aujourd’hui avec un accompagnement médical. La médecine qui traite l’individu pour qu’il subisse le moins de souffrances possibles. Cette évolution vaut pour la bourgeoisie du monde catholique occidental.
Aujourd’hui d’autres façons de traiter le mort et son cadavre sont répandues comme l’incinération (bien que déjà pratiquée depuis l’antiquité) considérée comme l’aboutissement le plus radical: il ne reste plus rien.
Elle s’est répandue dans le Catholicisme, mais l’Islam et le Judaïsme l’interdisent encore car l’homme provient de la terre et doit y retourner.
L’incinération dans sa forme contemporaine est née dans le monde maçonnique au XIXème siècle: Le corps et le cercueil brûlent à 980°C. Les cendres sont déposées dans une urne, elle-même déposée dans un columbarium, un caveau, chez soi, ou encore dispersées. Aujourd’hui on voit également le rétablissement des marques de reconnaissance (photos par ex.): le mort reste visuellement présent même après la disparition de son corps.
Dans la mentalité contemporaine subsiste une idée archaïque, celle du mana: lors des cérémonies de dispersion, les cendres rabattues sur les gens par le vent les effrayent et laissent un sensation de contamination. Il en a été de même dans les crématorium après l’incinération de cadavres de nazis, le four était considéré comme pollué.
Nous assistions à l’égard de la mort individuelle à deux phénomènes :
- La médicalisation (ou sur-médicalisation) où le médecin décide de la mort (débrancher la machine), il euthanasie son patient. Un paradoxe subsiste car le médecin manifeste de manière consciente ou non jusqu’au bout son impuissance: l’Homme meurt de toute façon.
- La technologisation de la mort: de nombreuses techniques ont été mises au point au XXème siècle que ce soit dans la manière de traiter le mort (fours crématoires) ou de penser des techniques de masse (l’événement thanatique prend dès lors une forme massive organisée nommée génocide).
La vision actuelle de la mort : la mort aujourd’hui
Une idée contemporaine véhiculée par la doxa est que la mort est en crise.
En effet, depuis quelques décennies on assiste à la séparation entre la mort réelle (la mort des proches) et le discours sur la mort: aujourd’hui l’Homme n’a plus de contact avec ses morts, il ne les voit plus, il ne les touche plus (il les incinère même).
En Occident, le discours social sur la mort se développe surtout à partir de la grande crise de 1973. L’Après-Guerre a concouru à la prise de conscience de la mort collective.
La crise viendrait d’une difficulté à accepter le travail du deuil.
Par le passé, la communauté proche venait absorber la douleur par une série de rituels de deuil.
Aujourd’hui, nous restons seuls avec notre deuil. Comme nous ne souhaitons plus voir le mort, de nouvelles pratiques se sont développées pour que les proches gardent une bonne image du mort. La thanatopraxie (techniques qui rendent le mort présentable) par exemple, qui vient des pays protestants s’est imposée pour les cérémonies à cercueil ouvert.
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