En Histoire, la critique historique est un examen scientifique d’analyse des documents. Il existe deux manières d’interroger un document : la critique interne et la critique externe.
- La critique externe ou la critique de véracité est la critique que l’on peut faire de l’extérieur du document et en posant des questions qui ne forcent pas à entrer dans le fond de la matière décrite ou
représentée. Ce sont les questions qui touchent à l’aspect extérieur, à sa forme. Elles consistent à replacer un document dans son contexte. - La critique interne ou la critique de crédibilité est une lecture du document afin d’entrer dans le récit.
La question que l’historien se pose est de savoir si le document est vrai ou faux. Et les deux sont intéressants, car un document falsifié mène à des questionnements : pourquoi, dans quel but, le document a-t-il été falsifié ? Quelles en sont les raisons, etc. ?
Précisons qu’un document est une notion utilisée en histoire pour désigner à la fois les documents écrits (lettres, livres, etc.) mais aussi les photographies, les tableaux, les témoignages, les films, etc.
Dans cet article, nous nous intéresserons à la critique externe du document.
La critique externe ou critique de véracité
La première étape de la critique externe concerne l’identification du document : il faut en déterminer l’auteur, dater le document, en retracer l’histoire, et en déterminer l’authenticité ou la fausseté. Les questions systématiques à se poser en Histoire chaque fois qu’un document est examiné sont par qui, où, quand, comment, et pourquoi a-t-il été produit ?
Qui est l’auteur ?
La première étape est de déterminer l’auteur du document.
Trouver l’auteur d’un document n’est pas forcément aussi simple qu’on peut le croire. Il est évident qu’il y a des lettres autographes manuscrites dont on connait l’auteur sans aucun problème.
Très souvent, on se trouve devant des documents pour lesquels des confusions sont possibles.
L’exemple type est une loi qui est signée par un souverain (ou un président de la République) mais il est évident que ce n’est pas lui qui a composé le document dont il est néanmoins le signataire. Ce n’est pas non plus le scribe qui l’a recopié qui en est l’auteur.
L’auteur d’un texte de lui est certainement un fonctionnaire anonyme du ministère qui travaille dans le cadre d’un cabinet qui reste anonyme qui est endossé par un ministre qui le présente à l’assemblée.
C’est pareil pour un film. Il faut considérer le producteur, le réalisateur, le scénariste, le script doctor, éventuellement la personne ayant adapté un roman en scénario. Où est l’auteur ?
Il y a derrière le terme auteur un certains nombres de difficultés qu’il faut avoir à l’esprit.
C’est encore plus vrai dans le cadre du nègre littéraire. Ce n’est pas le signataire officiel d’un document qui est en le véritable auteur intellectuel.
Lever l’anonymat
Dans la mesure du possible, il faut essayer de lever l’anonymat non pas seulement pour trouver un nom précis mais pour essayer de préciser le contexte et la date exacte à laquelle un document a été écrit ou produit.
L’anonymat peut être une règle. Très souvent, dans les ministères, les fonctionnaires ne signent pas leurs notes ni leurs rapports.
Selon les époques, il n’était pas jugé utile de signer. Au Moyen-âge, par exemple, il n’est pas de coutume que l’architecte signe un bâtiment, qu’un peintre signe un tableau, ou encore qu’un écrivain signe un livre.
Les pseudonymes
Les pseudonymes sont des noms choisis mais qui ne représentent pas réellement l’individu. Ils peuvent être utilisés dans un but artistique, de dissimulation, de tromperie, pour différencier sa production, ou encore pour échapper à la censure..
Un exemple notoire est celui de Romain Gary, récipiendaire du Prix Goncourt 1956 pour Les racines du ciel, qui parvient à le recevoir une seconde fois en 1975 pour La Vie devant soi, sous le pseudonyme de Émile Ajar.
Quand le document a-t-il été produit ?
Après avoir identifié l’auteur, il convient de se poser la question de la datation du document. La manière d’analyser un document diffère en fonction de son époque de production, un document du XIVème siècle n’est pas analysé de la même manière qu’un document du XXème.
Une œuvre peut être datée ou non.
Œuvres datées
Il existe des œuvres qui sont datées. Il convient de savoir si la date est bonne ! En effet, les calendriers utilisés font que la date inscrite n’est pas forcément la bonne, selon nos références. Nous utilisons depuis 1582 le calendrier Grégorien qui est en décalage avec d’autres calendriers. Certains pays ont adopté le calendrier Grégorien très tard, comme la Russie après la révolution de 1917.
C’est pourquoi la Révolution d’Octobre 1917 s’est déroulée pour nous en novembre (décalage de 15 jours).
Au Moyen-âge, il arrive que les millésimes d’années soient modifiés à d’autres dates que le premier janvier.
Œuvres non datées
Il y existe de nombreux documents qui ne sont pas datés. Pour les situer dans le temps, il existe différentes méthodes :
- Pour un document imprimé sur papier et qui ne possède pas de date, il est possible de dater le papier grâce à son filigrane qui indique la firme qui produit le papier. Les filigranes ont l’avantage d’être régulièrement changés et permettent donc de fournir comme information l’endroit et le moment de production (quand et où).
- La composition chimique de l’encre peut être analysée, donnant une information sur son époque.
- Une datation au carbone 14 est possible sur toute matière organique trouvée.
- Pour dater le bois, le recours à la dendrochronologie est coutume, il s’agit de compter les cernes. Chaque arbre gagne un cerne par année. En analysant le nombre et l’épaisseur relative des cernes, il est possible d’obtenir un graphique de la croissance de l’arbre. Des séquences sur plusieurs dizaines-centaines d’années permettent de réaliser des diagrammes à utiliser avec des grilles de lecture. Le tout offre la possibiliter de dater l’abatage de l’arbre à la demi-année près. Cela permet de dater des charpentes, des cadres de tableaux, etc.
- Enfin, Il peut y avoir un décalage entre une date écrite et la date réelle de publication de l’œuvre. Par exemple, un livre de Poche indique l’année de la réimpression (et généralement les années des éditions ou rééditions), il convient donc de ne pas faire d’anachronismes.
Le document est-il authentique ou faux ?
Il convient de ne pas confondre les notions de véracité et d’authenticité. Vrai et authentique ne sont pas synonymes. C’est une différence d’historien du droit qui vaut pour tous les
documents officiels. Il y a une nuance qui existe et qui peut parfois porter à conséquence.
L’authenticité fait allusion à une valeur en droit, c’est-à-dire qu’un document authentique revêt toutes les marques officielles de validité qui en font sa reconnaissance par le pourvoir, l’autorité et qui font qu’il a une valeur juridique. La plupart des documents authentiques sont des documents vrais. Mais ce n’est pas toujours le cas !
Par exemple, un passeport est un document vrai qui passe par l’administration qui lui met les cachets pour qu’il devienne un document authentique. Si le nom est faux, le
document est faux mais il peut être authentique tant qu’il passe toutes les validations administratives. On parle alors de faux authentique.
C’est une différence fondamentale pour les documents médiévaux. Il arrive très fréquemment que les documents soient faux (faux souverain, fausse date, etc.) mais qu’ils soient revêtus des formes nécessaires pour être acceptés ou acceptables.
Un autre exemple est celui d’une relique. Il peut s’agir d’une relique fausse (ex. faux crâne de saint Jean-Baptiste) mais qui est accepté par l’autorité ecclésiale. C’est donc une fausse
relique authentique.
Comment détermine-t-on l’authenticité d’un document ?
Un document vrai ou faux peut être examiné en tant que tel et repéré par un certains nombres de critères extérieurs. Dans une série de documents vrais et authentiques, il y a des
formes à respecter. Tout cela fait l’objet de ce que la critique méthodique du XIXème siècle tenait à appeler les sciences auxiliaires de l’histoire, disciplines indispensables pour
déterminer la véracité ou la fausseté.
Quelles sont les sciences auxiliaires de l’Histoire ?
- La paléographie étudie des écritures anciennes et leur datation.
- La diplomatique étudie les documents officiels
- L’héraldique étudie des blasons et des armoiries. Toutes personnes appartenant à la noblesse, toutes villes, toutes communes se voient attribuer un blason avec des règles bien particulières. L’étude de ces blasons permet de décerner des éléments de véracité ou de fausseté d’un document.
- La sigillographie étudie des sceaux. Habituellement, le sceau est un objet apposé à un document pour le rendre authentique. Au Moyen-âge et aux Temps Modernes, la plupart des sceaux sont en cires. Les sceaux des souverains appartiennent en propre au souverain et sont détruits à sa mort. Il y a des sceaux en d’autres matières, comme en métal. La « bulle d’or » est utilisée parlé des sceaux en or. Le Pape scelle toujours en métal, en plomb. Dans le langage courant, on donne le nom de bulle à un acte du pape. Aujourd’hui, dans certains traités et ou actes officiels, il arrive que l’on voit un sceau (communal, provincial, etc.).
Dans la vie de tous les jours, nous utilisons toujours un type de sceau : le cachet postal qui est une marque officielle et est juridiquement valable « le cachet de la poste faisant foi ». - La chronologie (en tant que discipline scientifique) permet de savoir par exemple que le calendrier Grégorien est adopté en 1582 en Belgique, en 1680 en Allemagne et en 1917 en
Russie et de faire des études de correspondances.
Le cas de l’original perdu
Il arrive que la trace des documents originaux se soit perdue dans le temps et ne nous soit parvenue qu’à travers des copies. Ces copies sont à traiter avec critique et méthode. C’est une problématique à laquelle l’historien est très sensible aujourd’hui mais cela n’a pas toujours été le cas.
Dans le monde romain, par exemple, une bonne copie d’un texte grec dispensait de consulter l’original.
Quels sont les différents types de copies ?
Il y existe différentes sortes de copies :
- La photocopie.
- La réimpression anastatique, c’est-à-dire la réimpression d’un écrit à l’identique, dans sa typographie ancienne.
- Le fac-simile qui reproduit à l’identique et jusqu’au moindre détail, y compris la forme irrégulière du parchemin, les trous, les rousseurs, ou encore toutes les parties du livre.
La question de la conformité de la copie
Entre une copie et l’original, il peut y avoir des erreurs.
Le copiste peut manquer de diligence et oublier des choses, rater son écriture. La copie est alors inutilisable mais elle peut donner des renseignements.
Un copiste peut falsifier sa copie et fait disparaitre l’original pour faire apparaitre des choses nouvelles, il peut supprimer des passages ou en ajouter (c’est ce qu’on appelle une interpolation).
Dans certains cas, le copiste ne comprend pas ce qu’il copie et se croit en droit de corriger lui-même. Par exemple s’il se trouve devant un nom de lieu ou de personne qu’il ne connait pas du tout, il arrive qu’il l’actualise. Il peut moderniser l’orthographe.
Toutes ces manœuvres forment des catégories d’interventions fondamentales qui ont bien été étudié par la critique méthodique pour les documents écrits mais que l’on pourrait transcrire ou transposer de la même manière à la photographie, au cinéma, etc.
Il est par exemple simple de supprimer un personnage d’une photographie. Comme le cliché original a généralement été détruit, nous pouvons remarquer ces altérations par des indices de maladresse du faussaire.
A l’inverse, un personnage peut être ajouté et peut être détecté par des différences de luminosité, de contraste, etc.
L’édition critique ou la tentative de restitution de l’orignal
C’est grâce à l’analyse et la comparaison des copies que l’on peut tendre avec vraisemblance à ce qu’était l’original.
Pour des textes anciens, c’est très fréquemment le cas. Les textes originaux se sont perdus dans les méandres du temps. Le manuscrit le plus ancien de la Guerre des Gaules de César
(dont la publication originale se situe entre 57 et 51 av. J.-C. pour les sept premiers volumes et 44-43 av. J.-C. pour le dernier) date de l’époque carolingienne vers 800, soit près de 850 ans plus tard !
Pour reconstituer un orignal, il existe des règles de bonne pratique comme la mise en place d’un Stemma codicum (un tableau généalogique des manuscrits et sources d’une même œuvre) et d’un appareil critique qui entoure et encadre, l’œuvre, la repositionnant dans son contexte, ayant recours aux notes en bas de page et à la bibliographie afin d’expliquer les nuances de traduction, les doutes, etc.
Ce travail critique est indispensable car il évite les anachronismes et permet de comprendre l’influence des copies à travers les siècles.
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