Histoire et évolution de l’irénologie

Introduction

Comprendre l’histoire de l’irénologie, cette « science de la paix », c’est explorer la manière dont, au fil des siècles, des penseurs, des mouvements religieux ou des militants ont cherché à instaurer la paix et à conceptualiser la non-violence. L’irénologie, en tant que discipline structurée, a pourtant une histoire relativement récente : elle émerge dans la seconde moitié du XXème siècle, en réaction aux tragédies de la Première et de la Seconde Guerre mondiale, ainsi qu’à la menace nucléaire de la guerre froide. Avant cette institutionnalisation, de nombreuses réflexions sur la paix existaient déjà : philosophes, religieux, humanistes et militants pacifistes avaient posé des jalons majeurs.

Dans cet article, nous retracerons le long cheminement qui a conduit à la naissance de l’irénologie contemporaine. Nous partirons des philosophies de l’Antiquité et des traditions religieuses, qui ont parfois magnifié la paix comme vertu individuelle ou aspiration morale collective. Nous aborderons ensuite les grands pacifismes modernistes (Renaissance, Lumières, périodes post-révolutions) et l’impact colossal des guerres mondiales sur la structuration de nouvelles approches. Enfin, nous verrons comment la guerre froide, la décolonisation et la multiplication des guerres civiles ont donné lieu à un véritable champ académique : les Peace Studies, désormais implantées dans de nombreuses universités. À la fin de ce parcours, il apparaîtra clairement que l’irénologie est à la fois le fruit d’une longue tradition réflexive et la réponse à des enjeux inédits propres au XXème et au XXIème siècle.

Représentation figurative de l'irénologie. Image originale JeRetiens.
Représentation figurative de l’irénologie. Image originale JeRetiens.

1. Les prémices dans l’Antiquité et les traditions religieuses

1.1. La Grèce antique et Rome : paix intérieure vs paix politique

Dans la Grèce antique, les réflexions sur la paix et la guerre se sont essentiellement articulées autour de la défense de la cité. Les philosophes grecs comme Platon et Aristote se sont davantage penchés sur la justice, la vertu et la gouvernance idéale. La guerre était perçue comme un phénomène récurrent, voire nécessaire, pour la gloire de la cité ou pour la protection de son territoire. Pourtant, on trouve chez les Stoïciens une forme de préoccupation pour la paix intérieure de l’âme, la eudaimonia, qui s’exprime par la maîtrise de soi et la tranquillité de l’esprit. Cette forme de “paix intérieure” n’est pas encore politiquement orientée vers la fin des guerres, mais elle jette les bases d’une réflexion sur la non-violence comme vertu personnelle.

À Rome, le concept de pax romana désigne une période de relative stabilité imposée par la puissance de l’Empire sur ses provinces. Il s’agit moins d’un idéal moral que d’un ordre impérial garanti par la force militaire. Néanmoins, certains courants philosophiques, comme l’épicurisme ou le stoïcisme, valorisent la paix en tant qu’état de tranquillité à conquérir individuellement, en se détachant des passions qui génèrent des conflits.

1.2. Les grandes religions monothéistes : judaïsme, christianisme, islam

Dans la Bible hébraïque, la notion de shalom (paix) va bien au-delà de l’absence de guerre : elle englobe la plénitude, la justice, la réconciliation. Les prophètes de l’Ancien Testament dénoncent l’oppression et l’injustice comme sources de la violence, et annoncent des temps de paix universelle.

Le christianisme, dans les Évangiles, met en avant l’amour du prochain, le pardon et la non-violence (célèbre injonction à tendre l’autre joue). Toutefois, l’histoire de l’Église fut aussi marquée par la participation à des guerres ou des croisades, montrant que l’idéal pacifiste n’était pas toujours appliqué. Néanmoins, des courants minoritaires (comme les quakers ou certaines branches du christianisme primitif) ont développé un pacifisme radical, influençant plus tard la pensée de militants comme Martin Luther King Jr.

Dans l’islam, le mot “islam” lui-même est lié à la racine s-l-m, qui renvoie à la paix et la soumission à Dieu. Le Coran valorise la miséricorde et la paix, même si le concept de djihad (lutte, effort) a parfois été interprété de manière militariste. Certains penseurs musulmans contemporains insistent cependant sur le djihad akbar (grand combat intérieur contre les mauvaises inclinations) comme voie de non-violence spirituelle et morale.

1.3. L’Orient : bouddhisme et ahimsa

En Inde, la notion d’ahimsa (non-nuisance ou non-violence) est centrale dans l’hindouisme, le jaïnisme et le bouddhisme. Elle condamne toute forme de violence envers les êtres vivants, y compris les animaux. C’est sur ce principe que se basera plus tard Gandhi pour mener ses campagnes de désobéissance civile contre le Raj britannique, inspirant de nombreuses luttes non violentes au XXème siècle.

Le bouddhisme, quant à lui, met l’accent sur la compassion universelle et la recherche de la cessation de la souffrance (dukkha). Sans prôner explicitement un pacifisme politique, il invite à vaincre la haine par la bienveillance et la compréhension. Ce sont ces valeurs que l’on retrouve dans certains mouvements bouddhistes contemporains promouvant la non-violence (Soka Gakkai, Dalai-Lama, etc.).

En somme, si l’Antiquité et les traditions religieuses n’ont pas produit à proprement parler une “science de la paix”, elles ont légué des concepts clés (ahimsa, amour du prochain, pardon, paix intérieure) qui formeront une base éthique et spirituelle pour les futurs penseurs de la non-violence et de la résolution pacifique des différends.

2. L’émergence de l’idée de paix chez les humanistes et les Lumières

2.1. La Renaissance : Érasme et Thomas More

Avec la Renaissance, on voit naître un humanisme européen, dont certaines figures majeures posent un regard critique sur la guerre. Érasme (1466-1536), dans son Éloge de la folie et d’autres écrits, tourne en dérision la glorification de la guerre et appelle à la concorde entre les princes chrétiens. Thomas More (1478-1535), dans L’Utopie (1516), imagine une société pacifique où la guerre est considérée comme un mal extrême. Ces penseurs dénoncent la cruauté et l’absurdité des conflits, tout en valorisant la raison et l’éducation comme voies d’instauration de la paix.

2.2. Les Lumières : Kant et la paix perpétuelle

Au XVIIIème siècle, le mouvement des Lumières se passionne pour l’idée de progrès, de raison, de contrat social. La guerre est de plus en plus considérée comme un fléau qu’il convient de dépasser. Emmanuel Kant (1724-1804) publie en 1795 un court traité intitulé Vers la paix perpétuelle, qui propose des “articles préliminaires” et “définitifs” pour parvenir à un ordre juridique international garant de la paix. Kant prône la création d’une fédération d’États républicains, considérant que les peuples libres répugneraient à la guerre, car ils en supportent le coût humain et financier. Il s’agit d’une des premières formulations théoriques de l’idée d’une gouvernance mondiale pour supprimer les conflits armés.

D’autres penseurs, comme Rousseau ou Voltaire, critiquent les guerres de conquête et insistent sur la nécessité d’une forme de cosmopolitisme, où l’humanité se reconnaîtrait comme une seule communauté. Même si ces idées restent minoritaires dans un contexte de rivalités dynastiques et d’empires coloniaux, elles préfigurent la pensée pacifiste moderne.

2.3. Les sociétés de paix au XIXème siècle

Au XIXème siècle, l’Europe est régulièrement secouée par des guerres nationales (Napoléon, 1848, guerre de Crimée, etc.), mais on observe aussi la naissance de “sociétés de la paix”, notamment en Angleterre et aux États-Unis. Ces associations philanthropiques, souvent inspirées par le protestantisme libéral, promeuvent l’arbitrage international, la réduction des armements et le règlement pacifique des litiges. Le juriste suisse Henry Dunant, horrifié par le carnage de Solférino (1859), crée la Croix-Rouge et milite pour une reconnaissance internationale du droit humanitaire. Ce mouvement préfigure la future Convention de Genève (1864).

Bien que ces initiatives ne parviennent pas à empêcher les grandes guerres du début du XXème siècle, elles montrent l’existence d’un courant pacifiste en germe, soutenu par des intellectuels, des philanthropes et des milieux religieux. Elles feront sentir leur influence au moment de la création de la Société des Nations (SDN) après la Première Guerre mondiale.

3. Le XXème siècle : la cristallisation de la recherche sur la paix

3.1. L’impact des deux guerres mondiales

La Première Guerre mondiale (1914-1918), avec ses millions de morts et l’usage de nouvelles armes destructrices (chars, gaz), est un traumatisme majeur pour l’Europe. De nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer la “Der des Ders” et poser les bases d’une coopération internationale visant à proscrire la guerre. Ainsi naît la Société des Nations (SDN) en 1920. Cependant, la montée des totalitarismes (fascisme, nazisme, stalinisme) et la Seconde Guerre mondiale (1939-1945) montrent l’échec cuisant de cette première tentative. La violence atteint un niveau encore plus effroyable, avec la Shoah, les bombardements massifs et, finalement, l’usage de l’arme atomique à Hiroshima et Nagasaki (1945).

Après 1945, la création de l’Organisation des Nations unies (ONU) et l’adoption de la Charte des Nations unies reflètent la volonté de ne pas répéter les erreurs passées. La Charte, ainsi que la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948), insistent sur la prévention des agressions, le droit international, la dignité humaine comme socle de la paix. En parallèle, le monde se scinde en deux blocs (États-Unis vs URSS), et la menace d’une guerre nucléaire suscite l’angoisse planétaire.

3.2. Guerre froide et formalisation des Peace Studies

C’est dans ce contexte que s’institutionnalise progressivement la recherche sur la paix, pour répondre à la menace existentielle d’un conflit nucléaire global. Des universitaires, pacifistes, groupes religieux ou think tanks créent des chaires et des instituts de “Peace Research” ou “Peace and Conflict Studies” :

  • Aux États-Unis, des universités intègrent des programmes liés au désarmement nucléaire et à la résolution de conflits (Harvard, Columbia, etc.).
  • En Europe du Nord, Johan Galtung crée le Peace Research Institute Oslo (PRIO) en 1959, puis la revue Journal of Peace Research (1964).
  • En Angleterre, le University of Bradford fonde le premier département entièrement dédié aux Peace Studies en 1973.

Cette période voit l’émergence des premiers concepts clés de l’irénologie : la typologie violence directe/structurelle/culturelle, paix négative vs paix positive, rôle de la diplomatie préventive, importance de la justice sociale dans la prévention des conflits. On assiste aussi à des débats méthodologiques : faut-il adopter une approche quantitative (statistiques sur les guerres, bases de données de conflits) ou qualitative (études de cas, analyse sociologique) ? Plusieurs écoles de pensée se mettent en place, témoignant d’un dynamisme naissant.

3.3. Les grands mouvements pacifistes de la seconde moitié du XXème siècle

Parallèlement à l’essor universitaire, les mouvements pacifistes se multiplient :

  • Mouvement anti-nucléaire : Dans les années 1950-1960, des intellectuels comme Bertrand Russell ou Albert Einstein alertent sur le risque de destruction globale. Des manifestations massives contre l’arme atomique se tiennent en Angleterre, aux États-Unis et ailleurs.
  • Lutte pour les droits civiques et la non-violence : Martin Luther King Jr., influencé par Gandhi, prône la désobéissance civile pacifique pour combattre la ségrégation raciale aux États-Unis. Son action obtient le prix Nobel de la paix en 1964.
  • Guerre du Vietnam : La contestation étudiante et l’opinion internationale s’élèvent contre l’intervention américaine au Vietnam, popularisant le slogan “Make love, not war”.

Ces mobilisations ont un impact réel sur la structuration de l’irénologie, dans la mesure où elles fournissent des terrains de recherche concrets (comment mobiliser pacifiquement ? quelles stratégies de désobéissance civile ?) et suscitent un débat permanent entre partisans de la non-violence absolue et ceux qui reconnaissent la “légitimité” d’une violence défensive.

4. Fin de la guerre froide et mutations de la recherche sur la paix

4.1. L’effondrement de l’URSS et la recomposition géopolitique

La chute du mur de Berlin (1989), la réunification allemande, puis la dissolution de l’URSS (1991) mettent fin à la bipolarité Est-Ouest. Certains, comme Francis Fukuyama, croient assister à la “fin de l’histoire”, avec la victoire du libéralisme économique et de la démocratie censée apporter la paix universelle. Or, cette vision est vite démentie par la série de conflits intra-étatiques et régionaux qui émaillent les années 1990 et 2000 : ex-Yougoslavie, Rwanda, Somalie, Sierra Leone, Colombie, etc. On assiste donc à une mutation des guerres : elles sont moins interétatiques que civiles ou régionales, souvent liées à des facteurs ethniques, religieux, économiques (ressources naturelles).

Cette évolution amène l’irénologie à s’intéresser davantage aux conflits internes et aux guerres “non conventionnelles”. Les programmes de recherche se diversifient, intégrant des questions de “consolidation de la paix” (peacebuilding), de “construction de l’État” (statebuilding), et de “justice transitionnelle” dans les contextes post-conflit.

4.2. La montée des approches féministes, écologistes et post-coloniales

Dès les années 1980, mais de façon plus marquée dans les années 1990-2000, de nouveaux courants enrichissent les Peace Studies :

  • Féminisme et genre : Les chercheuses et militantes féministes dénoncent la marginalisation des femmes dans les processus de négociation, l’usage du viol comme arme de guerre, et la non-prise en compte des violences domestiques. Elles mettent en avant l’importance de la participation féminine aux négociations et la dimension genrée de la violence.
  • Éco-irénologie : Les conflits autour de l’eau, des terres, des forêts, de la dégradation environnementale (climat) deviennent un sujet majeur. On parle de plus en plus de “conflits écologiques” et de la nécessité de coopérer pour préserver la planète.
  • Approches post-coloniales : Des chercheurs issus d’anciennes colonies montrent comment le legs colonial et la persistance de relations néocoloniales perpétuent des inégalités générant des tensions, notamment en Afrique, en Asie ou en Amérique latine.

Ces approches renouvellent la réflexion, en élargissant la définition de la violence (notamment la violence structurelle) et en réévaluant les priorités : la paix n’est pas seulement un enjeu entre États, c’est aussi un défi intracommunautaire, culturel, écologique et social.

4.3. Les organisations internationales et la diplomatie de la paix

Depuis la fin de la guerre froide, l’ONU multiplie les missions de maintien de la paix (peacekeeping) dans des États en crise. Malgré des échecs douloureux (Rwanda, Bosnie), des progrès ont été faits : développement de la diplomatie préventive, élaboration d’opérations complexes mêlant aspects militaires, civils et humanitaires, recours à des envoyés spéciaux. Les organisations régionales (Union africaine, OSCE, Union européenne, OEA, etc.) développent aussi leurs propres outils de prévention et de résolution des conflits. L’irénologie accompagne ces efforts, en fournissant analyses, grilles d’évaluation et expertise (par exemple via des groupes de réflexion comme International Crisis Group, SIPRI, etc.).

5. L’irénologie au XXIème siècle : de nouveaux défis

5.1. Multiplication des conflits internes et terrorisme transnational

Au XXIème siècle, la plupart des guerres se déroulent à l’intérieur des frontières (Syrie, Yémen, Mali, RDC, etc.) ou sous la forme de violences terroristes globalisées (Al-Qaïda, Daech, Boko Haram, etc.). L’irénologie doit donc s’adapter à la compréhension de ces “nouveaux conflits” : hybridation entre criminalité organisée, radicalisation religieuse, effondrement de l’État, implication de puissances régionales par procuration. Les Peace Studies s’intéressent de plus en plus à la notion de “failed states”, aux dynamiques de reconstruction post-conflit, à la coordination de l’aide humanitaire, à la dé-radicalisation.

5.2. Cyber-guerre et manipulations de l’information

La révolution numérique introduit une nouvelle dimension : les cyberattaques peuvent paralyser des infrastructures critiques sans même déclencher de conflit armé classique. La désinformation via les réseaux sociaux peut attiser des violences intercommunautaires (comme en Birmanie avec les Rohingyas, ou ailleurs). L’irénologie ne peut ignorer ces mutations technologiques, qui modifient la façon dont les acteurs se mobilisent ou se radicalisent. Des centres de recherche se penchent désormais sur la “cyber-paix” ou la “cyber-diplomatie” pour prévenir les escalades numériques.

5.3. Crise environnementale et migrations climatiques

Le changement climatique, l’épuisement des ressources en eau, la déforestation, la montée du niveau des mers constituent autant de menaces pour la stabilité de régions entières. Les études sur les “conflits environnementaux” ou “écologiques” se multiplient. On craint que le XXIème siècle voie se généraliser des “guerres de l’eau” ou des affrontements pour l’accès à des terres cultivables. L’irénologie, via l’éco-irénologie, essaye de concevoir des mécanismes de gouvernance partagée (traités sur les fleuves transfrontaliers, coopérations régionales, etc.) pour transformer ces menaces en opportunités de collaboration.

5.4. Vers une mondialisation de la conscience pacifique ?

Avec la mondialisation, les informations circulent plus vite, la pression de l’opinion publique internationale peut peser sur les gouvernements. Les ONG (Greenpeace, Amnesty International, Human Rights Watch, International Crisis Group, etc.) jouent un rôle grandissant dans la dénonciation des violences, la protection des droits humains, la proposition de solutions pacifiques. L’irénologie s’intéresse à cette société civile transnationale, vue comme un levier pour influencer les politiques et renforcer les logiques de paix. Toutefois, la multiplication de crises économiques, sanitaires (pandémies) ou migratoires rappelle la fragilité de l’ordre mondial et l’urgence de consolider les mécanismes multilatéraux.

6. Bilan et perspectives

6.1. Une discipline en constante évolution

L’irénologie s’est donc construite progressivement, depuis les réflexions philosophiques et religieuses anciennes jusqu’à la formalisation académique des Peace Studies au XXème siècle. Elle a su intégrer des courants variés : féministes, post-coloniaux, écologiques, tout en gardant pour fil conducteur la volonté de comprendre et de transformer la violence. Dans ses premières décennies, elle a mis l’accent sur la négociation, le désarmement nucléaire et la résolution diplomatique des conflits interétatiques. Elle s’est ensuite recentrée sur les guerres civiles, la justice transitionnelle et la consolidation de la paix, notamment après la fin de la guerre froide.

6.2. Apports conceptuels majeurs

  • Violence directe, structurelle, culturelle : Permet de comprendre la multidimensionnalité de la violence.
  • Paix négative/positive : Souligne que l’absence de guerre ne suffit pas si la justice, l’équité et les droits fondamentaux ne sont pas garantis.
  • Justice transitionnelle : Élabore des mécanismes pour gérer le passé violent (procès, commissions vérité, réparations).
  • Diplomatie préventive : Vise à détecter en amont les risques d’escalade et à désamorcer les crises.

6.3. Défis contemporains et nécessité d’innovation

Aujourd’hui, l’irénologie fait face à des défis majeurs : cyber-conflits, terrorisme mondial, réchauffement climatique, montée de populismes nationalistes, inégalités croissantes. Pour y répondre, elle doit poursuivre ses innovations théoriques (nouvelles grilles d’analyse) et pratiques (recherche-action, médiation 2.0, éco-diplomatie). Le monde numérique, par exemple, oblige à repenser la notion de frontière, la définition d’un acte de guerre et la manière de négocier la paix. Par ailleurs, la crise écologique impose d’aborder la question des ressources naturelles comme un déterminant clé de la sécurité globale, reliant ainsi les enjeux de paix et de durabilité environnementale.

6.4. Une science de la paix ouverte sur la société

Un point saillant de l’irénologie est sa volonté de ne pas se cantonner à l’univers académique. Elle se nourrit des expériences de terrain (missions de paix onusiennes, ONG humanitaires, mouvements citoyens) et cherche à influencer la pratique diplomatique, les législations internationales, l’éducation et les médias. Les chercheurs en irénologie collaborent avec des institutions politiques (ONU, Union européenne, Union africaine), forment des médiateurs, élaborent des politiques publiques de réconciliation. On peut dire que l’irénologie est non seulement un champ d’étude, mais aussi un projet éthique, visant à diffuser la culture de la non-violence et à construire des sociétés plus justes.

Conclusion

L’histoire de l’irénologie s’inscrit dans un mouvement millénaire de quête de la paix, nourri par les religions, la philosophie, les humanistes et les militants. Cependant, sa constitution en discipline autonome, dotée de concepts, d’instituts de recherche, de revues spécialisées, date en réalité de la seconde moitié du XXème siècle. Les guerres mondiales, la menace nucléaire, puis l’explosion de conflits civils ont servi de catalyseurs. Sous l’impulsion de figures comme Johan Galtung et de multiples chercheurs, la réflexion sur la paix a pris une dimension scientifique, cherchant à décrypter les causes de la violence et à élaborer des mécanismes de prévention et de résolution.

Aujourd’hui, l’irénologie couvre un large éventail de thématiques : désarmement, médiation, diplomatie préventive, justice transitionnelle, féminisme, éco-irénologie, cyber-paix, etc. Elle continue d’évoluer en fonction des nouveaux contextes géopolitiques et des enjeux planétaires, ce qui la contraint à se remettre sans cesse en question. Cette discipline est complémentaire à la polémologie. Son ambition reste la même : fournir des outils théoriques et pratiques pour faire reculer la violence, sous toutes ses formes (directes, structurelles, culturelles), et consolider une “paix positive” où la dignité humaine, les droits et la justice sociale seraient protégés.

Sam Zylberberg

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