Pourquoi n’avons-nous que peu de souvenirs de notre enfance ?

Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi vous ne vous souvenez pas d’avoir été un bébé ? Ou pourquoi vous pouvez facilement vous souvenir de toutes les paroles d’une chanson que vous avez apprise à l’adolescence, même si c’était il y a 20 ans (ou plus) ?

La réponse à ces questions réside peut-être dans la façon dont notre système de mémoire se développe au fur et à mesure que nous passons du stade de bébé à celui d’adolescent, puis à celui d’adulte. Notre cerveau n’est pas complètement développé à la naissance; Il continue de se développer et de changer pendant cette période importante de notre vie. Le développement de notre cerveau s’accompagne de celui de notre mémoire.

Parcourons le chemin de la mémoire et l’évolution des souvenirs à travers notre article !

Les souvenirs : de la naissance à l’adolescence

Vous souvenez-vous de votre premier anniversaire ? De votre deuxième ? Les adultes se souviennent rarement des événements survenus avant l’âge de trois ans et ont une mémoire incomplète lorsqu’il s’agit de ce qui leur est arrivé entre trois et sept ans. C’est un phénomène connu sous le nom d’amnésie infantile.

Pourquoi est-il si difficile de se souvenir d’avoir été un bébé ou un jeune enfant ? Est-ce simplement parce que nos premier, troisième et même septième anniversaires ont eu lieu il y a longtemps, et que nos souvenirs se sont naturellement estompés ? Pas nécessairement. En fait, un adulte de 40 ans aura généralement des souvenirs très forts de son adolescence qui, pour lui, s’est déroulée il y a plus de 20 ans. En revanche, un jeune de 15 ans aura peu de chances de se souvenir de quelque chose qui s’est produit lorsqu’il avait deux ans, même si cela ne s’est passé que 13 ans auparavant.

De quoi les bébés se souviennent-ils ?

On a longtemps pensé que la raison pour laquelle nous ne nous souvenons pas de la majeure partie de notre petite enfance est que, lorsque nous sommes jeunes, nous ne sommes tout simplement pas capables de nous souvenir de manière stable des événements. La logique voudrait que l’on ne puisse pas accéder à un souvenir s’il n’est pas là

Mais il s’avère que les nourrissons et les jeunes enfants peuvent se souvenir et se souviennent. Il s’agit aussi bien de souvenirs implicites (comme les souvenirs procéduraux, qui nous permettent d’effectuer des tâches sans y penser) que de souvenirs explicites (comme lorsque nous nous souvenons consciemment d’un événement qui nous est arrivé).

Notre capacité à nous souvenir de choses pendant de longues périodes s’améliore toutefois progressivement au cours de l’enfance. Dans des expériences où l’on apprenait à de jeunes enfants à imiter une action, par exemple, des enfants de six mois pouvaient se souvenir de ce qu’il fallait faire pendant 24 (mais pas 48) heures, tandis que des enfants de neuf mois pouvaient se souvenir de ce qu’il fallait faire un mois (mais pas trois mois) plus tard. À l’âge de 20 mois, les nourrissons pouvaient encore se souvenir de la façon d’effectuer une tâche qu’on leur avait montrée une année entière auparavant.

Il est intéressant de noter que des recherches récentes menées sur des rats ont révélé que, malgré la perte apparente des souvenirs épisodiques précoces, une trace latente du souvenir d’une expérience précoce demeure pendant une longue période et peut être déclenchée par un rappel ultérieur. Cela pourrait expliquer pourquoi les traumatismes précoces peuvent influencer le comportement des adultes et augmenter le risque de troubles mentaux futurs.

Notre cerveau se développe

Les neuroscientifiques qui étudient la mémoire chez les animaux (comme les rats et les singes) ont découvert que l’amnésie infantile ne touche pas que les humains. Ce phénomène semble être commun aux animaux dont le cerveau, comme le nôtre, continue de se développer après la naissance.

À la naissance, le cerveau d’un bébé ne représente qu’un quart de sa taille adulte. À l’âge de deux ans, il aura atteint les trois quarts de la taille d’un cerveau adulte. Ce changement de taille est corrélé à la croissance des neurones et à la vérification et à l’élagage des connexions. Le cortex préfrontal se développe, par exemple, jusqu’à nos 25 ans.

Que signifie donc pour nos souvenirs le fait que notre cerveau se développe encore pendant l’enfance et la petite enfance ?

Examinons l’hippocampe, cette partie du cerveau qui joue un rôle particulièrement important dans la formation des souvenirs épisodiques (souvenirs d’événements qui nous sont arrivés). Alors que de nombreuses parties du cerveau continuent à se développer et à se modifier après la naissance, l’hippocampe est l’une des rares régions qui continue à produire de nouveaux neurones à l’âge adulte. Lorsque nous sommes petits, par exemple, une partie de l’hippocampe appelée le gyrus denté est en surrégime, produisant des neurones à un rythme élevé. Ces nouveaux neurones sont ensuite intégrés dans les circuits de l’hippocampe. Bien que la production de nouveaux neurones se poursuive à l’âge adulte, le rythme d’activité ralentit.

Les scientifiques pensent que ce rythme rapide de production de neurones dans l’enfance pourrait contribuer à notre taux d’oubli plus élevé lorsque nous sommes jeunes. Comment ? En formant de nouvelles connexions avec les circuits de la mémoire, les masses de nouveaux neurones peuvent perturber les réseaux existants de souvenirs déjà formés.

La mémoire à l’adolescence

Si la petite enfance est reconnue depuis longtemps comme une période importante pour le développement du cerveau, on pensait autrefois que tout était terminé bien avant la puberté. Mais nous savons aujourd’hui que notre cerveau continue de se développer et de changer pendant la puberté et l’adolescence. En particulier, notre cortex préfrontal, qui joue un rôle important dans les fonctions exécutives comme le contrôle de notre comportement, subit d’importants changements à cette période. Et, comme ces zones de notre cerveau continuent à changer et à se développer, il en va de même pour notre mémoire.

Quelles sont les parties du cerveau ?
Schéma des structures du cerveau, de gauche à droite et de haut en bas : l’hypothalamus qui contrôle la température du corps, la faim, la soif et le sommeil ; le cortex préfrontal, siège des fonctions cognitives supérieures comme le langage, la mémoire de travail ou encore le raisonnement ; le cervelet qui contribue à la coordination et à la synchronisation des gestes et mouvements ; la glande pituitaire ou hypophyse est une glande endocrine qui sécrète de nombreuses hormones ; l’hippocampe qui joue un rôle central dans la mémoire et la navigation spatiale ; l’amygdale qui fait partie du système limbique et est impliquée dans l’évaluation émotionnelle des stimuli sensoriels et dans les réponses comportementales associées, plus précisément la peur et l’anxiété ; et enfin le tronc cérébral qui est responsable de la régulation de la respiration et du rythme cardiaque, de la localisation des sons.

La bosse de la réminiscence

Les paroles de chansons, les conversation animées, les voyages ou encore les scènes de films, nous avons plus de chances de nous en souvenir 20, 30 ou même 40 ans plus tard pour peu que nous les ayons vécus et retenu durant notre adolescence.

Un certain nombre d’études ont montré que les adultes de plus de 30 ans ont plus de souvenirs de l’adolescence et du début de l’âge adulte que de toute autre période de leur vie, avant ou après. Ce phénomène est connu sous le nom de bosse de la réminiscence.

Comment la mémoire évolue-t-elle au cours de la vie ?
La courbe des souvenirs autobiographiques au cours de vie est un graphique qui représente le nombre de souvenirs autobiographiques encodés à différents âges de la vie. La courbe comprend trois parties différentes : de la naissance à cinq ans, une période d’amnésie infantile, de 16 à 25 ans, la bosse de réminiscence et enfin, une période de récence (aussi appelé effet de récence) qui désigne le fait que les derniers souvenirs sont plus facilement rappelés que les plus anciens.

On pense que cela s’explique par le fait que, lorsque nous nous forgeons une nouvelle image de nous-même, c’est à l’adolescence que se fixent nos goûts musicaux, nous encodons des souvenirs solides et durables en rapport avec cette image. En d’autres termes, nous sommes plus susceptibles de favoriser les souvenirs qui renforcent nos idées sur notre identité. L’adolescence étant une période clef pour l’émergence d’un soi stable et durable, c’est aussi la période où nous avons tendance à nous souvenir le plus fortement.

Plus de myéline à l’adolescence

Le terme de matière grise est souvent utilisée comme une sorte de raccourci pour désigner les cellules du cerveau, la matière grise est en grande partie composée de neurones denses.

Où se situe la matière grise et la matière blanche ?
Coupes longitudinale du cerveau et transversale de la moelle épinière, montrant la matière grise et la matière blanche.

Près de la moitié de du cerveau est rempli d’une masse de câbles de communication (axones) qui relient les neurones dans différentes parties du cerveau. C’est la matière blanche. Les câbles sont recouverts d’une substance grasse appelée myéline, qui leur donne la couleur blanche que l’on voit à l’IRM. La myéline agit comme une isolation autour des axones, permettant aux messages (sous forme de signaux électriques) d’être transportés plus rapidement entre les zones du cerveau. Plus la myéline est importante, plus les messages voyagent rapidement.

Schéma d'un neurone ou cellule nerveuse
Parties d’une cellule nerveuse (ou neurone) : le corps cellulaire central (noyau) avec le noyau interne et les dendrites externes et la longue queue de l’axone, isolés par la gaine de myéline.

Grâce à la technologie de l’IRM, les scientifiques ont pu observer ce qui arrive à la myéline dans notre cerveau pendant l’enfance et l’adolescence. Ils ont découvert que, si les régions sensorielles et motrices du cerveau sont entièrement myélinisées (recouvertes de myéline) au cours des premières années de vie, la myélinisation du cortex frontal se poursuit jusqu’à l’adolescence.

La croissance et l’élagage synaptiques à la puberté

Au cours des premiers mois de notre vie, notre cerveau s’active à créer de très nombreuses synapses (connexions entre les neurones), jusqu’à ce que nous en ayons beaucoup plus que ce que nous aurons finalement à l’âge adulte. Au cours des quelques années suivantes, ces connexions sont progressivement élaguées. En fonction de nos expériences, certaines connexions sont renforcées tandis que d’autres disparaissent jusqu’à ce que, finalement, la densité de nos synapses atteigne le niveau adulte.

Mais, dans notre cortex préfrontal, il semble que cela se produise une deuxième fois. Lorsque nous atteignons la puberté, qui correspond à une période de croissance et d’apprentissage dans le reste du corps, il y a une autre vague de prolifération synaptique dans le cerveau. Puis, à l’adolescence, ces connexions sont à nouveau élaguées et réorganisées. Cet élagage rend les connexions existantes plus efficaces et est donc essentiel aux processus cognitifs tels que la mémoire.

Étant donné que nos cortex frontal et préfrontal continuent de se développer de cette manière pendant la puberté et l’adolescence, on pourrait s’attendre à une amélioration correspondante des fonctions exécutives liées à la mémoire, qui sont associées à ces régions frontales de notre cerveau. Et c’est effectivement le cas : des expériences ont montré que nos performances dans des tâches complexes de mémoire de travail continuent de s’améliorer à l’adolescence, tout comme notre mémoire prospective (notre capacité à nous souvenir de faire des choses dans le futur).

De plus, c’est la plasticité synaptique et l’expérience qui font évoluer les souvenirs des choses. En effet, le terme « bateau » peut ne pas avoir le même sens pour un enfant de 4 ans et pour un adulte de 38 ans.

Pourquoi n'a-t-on pas les mêmes souvenirs enfant et adulte ? Schéma explicatif des ensembles neuronaux et de la mémoire
Les souvenirs sont stockés en modifiant les connexions entre les neurones. Un enfant de quatre ans activera un certain groupe de neurones (Ensemble A), tandis que les adultes activeront un ensemble différent (Ensemble A’) avec le même stimulus. La plasticité synaptique induite par l’expérience répétée peut modifier la force des connexions entre les neurones. C’est ainsi qu’il peut y avoir des réponses neuronales différentes à une même entrée.

Les étapes de la mémoire de la naissance à l’âge adulte

Âges Capacités mémorielles
De la naissance jusqu’à 1 an Capacité à se souvenir d’événements pendant de courtes périodes (la durée augmente progressivement)
Entre 1 et 2 ans Capacité à se souvenir d’événements pendant des périodes de plus en plus longues
De 2 à 3 ans Amélioration de la mémoire déclarative (mémoire des faits et des événements)
De 4 à 7 ans La mémoire prospective (se souvenir de choses à faire dans le futur) commence à émerger
De 8 à 10 ans Amélioration du rappel des faits et amélioration du rappel des relations spatiales
De 10 à 12 ans Amélioration de la mémoire à long terme et capacité accrue à refouler consciemment des souvenirs
De 13 à 21 ans Amélioration de la mémoire prospective et amélioration de la mémoire de travail

 

Sam Zylberberg
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