Autant pour moi ou au temps pour moi ?

Le dire à haute voix ne vous engage pas, mais dès qu’il s’agit de l’écrire… les doutes surgissent ! Comment écrit-on « autant pour moi » ou « au temps pour moi » et que veut exactement dire cette expression ?
A travers cet article, nous retracerons l’Histoire de cette expression, ses premières apparitions écrites et l’évolution de son orthographe.

L’orthographe correcte est au temps pour moi

Dissipons tout de suite les doutes, on écrit au temps pour moi. Cette expression signifie une reconnaissance d’erreurs commises par celui qui parle (ou qui écrit). C’est la seule orthographe admise par l’Académie française. Cependant, il est très courant de lire « autant pour moi » pour désigner cette même expression.
Certains grammairiens sont même pour cette orthographe et nombreux en font usage.

Tâchons de comprendre !

Différence entre au temps pour moi et autant pour moi

Tout d’abord, intéressons-nous à la différence de sens qu’il peut y avoir entre les deux locutions.

Au temps pour moi désigne, comme nous l’avons indiqué, une reconnaissance d’erreur de la part du locuteur.
Autant pour moi désigne également une reconnaissance d’erreur mais par extension se réfère à « autant d’erreurs que l’on peut mettre à mon actif », il s’agit donc d’un rapport à une quantité.

Étymologie de au temps pour moi

Comme nous l’exposons souvent sur JeRetiens, c’est la plupart du temps dans l’étymologie qu’il faut trouver les sources de compréhension actuelles d’un mot et de son évolution cohérente.

L’expression « au temps » apparaît dans le jargon militaire au cours de XIXème siècle. Cette locution signifie qu’un soldat n’est pas dans le temps lorsqu’il réalise un mouvement et que la manœuvre doit être recommencée. Les exemples les plus courants sont ceux du salut militaire qui si mal coordonné donne une impression de désordre dans les rangs.

Adjoindre à au temps, pour moi indique que le locuteur reconnaît la faute. L’expression au temps se figure donc en au temps pour moi.

Première occurrence littéraire de au temps

La première apparition littéraire de « au temps » se trouve dans Le Train de 8h47 de Georges Courteline en 1888. L’utilisation de l’expression est fidèle à son origine militaire et désigne des mouvements ratés, comme l’indique cet exemple:

Recommencez-moi ce mouvement-là en le décomposant. Au temps ! Au temps ! Je vous dis que ce n’est pas ça !

Première apparition littéraire de au temps pour moi et début des différences orthographiques

La première apparition littéraire de l’expression complète au temps pour moi est très intéressante. En 1892, dans la revue La Caricature, Jacques de Garches écrit une nouvelle intitulée Psitt ! Perruquier ! Conte régimentaire, dans laquelle on retrouve cette phrase dans la bouche d’un lieutenant:

D’ailleurs, au temps pour moi : maladresse !

Sa nouvelle est rééditée six ans plus tard dans La Petite Caricature en 1898, et c’est là que cela devient intéressant: au temps pour moi est remplacé par autant pour moi.

C’est le début des controverses qui durent encore… 120 ans plus tard !

Dès 1902, l’occurrence autant pour moi est écrite en l’état dans un feuilleton de Paul Reboux intitulé Josette et publié dans Le Journal.

Elle n’est pas là, pensa-t-il. Autant pour moi… Ma foi, allons-y tout de même !

S’en suivront différentes publications qui alterneront les graphies: au temps et autant pour moi, en fonction des écrivains ou des éditeurs, au départ toujours dans le domaine militaire, ensuite l’expression entrant dans le siècle et dans la société civile.

Vers des querelles orthographiques… et de grammairiens ?

Est-ce qu’une expression écrite de deux manières différentes et voulant dire à peu près la même chose (même si le sens grammatical diffère un peu) peut engendrer des querelles ? Mais évidemment !

Tout d’abord, l’étymologie de au temps pour moi est incertaine mais rien ne justifie l’usage de autant pour moi  si l’on se réfère à l’Académie Française qui indique:

Il est impossible de savoir précisément quand et comment est apparue l’expression familière au temps pour moi, issue du langage militaire, dans laquelle au temps ! se dit pour commander la reprise d’un mouvement depuis le début (au temps pour les crosses, etc.). De ce sens de C’est à reprendre, on a pu glisser à l’emploi figuré. On dit Au temps pour moi pour admettre son erreur – et concéder que l’on va reprendre ou reconsidérer les choses depuis leur début.

L’origine de cette expression n’étant plus comprise, la graphie Autant pour moi est courante aujourd’hui, mais rien ne la justifie.

Point de vue de l’Académie Française sur « au temps pour moi« 

Durant le XXème siècle, de nombreux grammairiens ont analysé cette expression et certains ont même pris parti, voire milité pour une graphie au dépens d’une autre. Ce qui revient de l’analyse des grammairiens et qui constitue une remarque quasi générale est que autant pour moi apparaît comme une altération de au temps pour moi.
Si l’étymologie demeure incertaine pour l’Académie Française, cette dernière au même titre que les grammairiens Maurice Grevisse, son gendre (ayant repris son œuvre) André Goose, ou encore Le Petit Robert tiennent pour seule orthographe valable au temps pour moi.

La question militante se pose sur l’aspect pédant attribué à au temps pour moi par des écrivains comme André Thérive et sur la forme plus légère voire auto-dérisoire de autant pour moi à privilégier, comme l’écrit l’historien du langage Claude Duneton dans le Figaro Littéraire du 18 décembre 2003:

Autant pour moi est une locution de modestie, avec un brin d’autodérision. Elle est elliptique et signifie : Je ne suis pas meilleur qu’un autre, j’ai autant d’erreurs que vous à mon service : autant pour moi. La locution est ancienne, elle se rattache par un détour de pensée à la formule que rapporte Littré dans son supplément : Dans plusieurs provinces on dit encore d’une personne parfaitement remise d’une maladie : il ne lui en faut plus qu’autant […] elle n’a plus qu’à recommencer.

Conclusion: faut-il écrire au temps pour moi ou autant pour moi ?

La bonne orthographe est au temps pour moi ! Vous respectez ainsi Le Français correct de Grevisse et les recommandations de l’Académie Française.

Si vous écrivez autant pour moi, il est encore temps de revoir votre orthographe ou alors de l’assumer et d’adopter un point de vue… militant !

Sam Zylberberg
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